Quatrième et dernier film du jeune réalisateur Damien Chazelle, Babylon est une véritable ode au cinéma. Ce film transpire la décadence, la passion, la coke, c'est une véritable expérience de cinéma qu'il faut absolument voir en salle. Si Chazelle nous avait déjà prouvé avec ces précédents films qu'il était un réalisateur sur lequel il fallait misé, il signe ici son film le plus ambitieux et le plus mature.
Si un jour vous avez eu envie de crier au monde entier à quel point vous aimez le cinéma, n'essayez plus, Chazelle l'a fait pour vous. Avec une maitrise impressionnante, le réalisateur nous montre en 3H10 à quel point le cinéma est important, tant dans sa vie que dans l'Histoire. La séquence de fin est tellement passionnée, emplie d'adrénaline et d'émotions que j'ai pleuré pendant près de 15 minutes sans pouvoir m'arrêter. C'est quelque chose que je n'ai jamais vécu au cinéma et visiblement, c'est ce qu'on appelle le syndrome de Stendhal. Parce que putain, il y a un mec qui a réussi à mettre en image ma passion pour le cinéma et tout ce que j'ai pu ressentir depuis ma jeunesse et jusqu'à maintenant. Un film de cette ampleur c'est important, il faut soutenir ce type de projet et courir en salle voir Babylon.
Bon, tentons d'être rationnel et de laisser l'émotion de côté pendant un instant.
Le film raconte l'histoire de personnages qui évolueront dans les années 20 et 30, dans le Hollywood des années folles et de la décadence, en abordant notamment le début du cinéma hollywoodien, chaotique et fait avec les tripes, qui évoluera progressivement vers une industrie qu'on tente de maitriser et de professionnaliser. Il aborde également le passage du muet au parlant avec de nombreuses références à des scènes de "Singin in the Rain" (je pense notamment à la scène où les réalisateurs tentent de tourner une prise sans pouvoir y arriver face à de nombreux imprévus comme le son qui déconne, où des gens qui entrent dans le studio). Car oui, le cinéma a complètement changé en transitionnant vers le parlant. On voit arriver les claps servant à synchroniser le son, les acteurs doivent apprendre à jouer différemment et fini tous les petits défauts qui passaient quand il n'y avait pas de prise de son. Dorénavant, et malgré le coût de la pellicule, si le son n'est pas bon, la prise est ruinée. Toutes ces thématiques sont abordées dans "Singin in the rain" mais Babylon le traite d'une manière différente car contrairement au film de 1952, les personnages n'arrivent pas à se renouveler et passer ce cap.
Dans le film de Chazelle, les personnages sont sous coke, complètement tarés et font du cinéma pour vivre les émotions intenses que peuvent leur procurer les tournages. Des tournages sous adrénaline où des figurants peuvent mourir transpercer par une lance sans que ce soit bien grave. Avec le succès du "Chanteur de jazz" et la captation du son en réel, est arrivé la professionnalisation du cinéma dans laquelle les personnages ne se retrouvent plus et ils sombrent peu à peu à mesure que le cinéma évolue.
Comme à son habitude, Chazelle référence énormément ses films et on peut dire que sur celui-ci, il a fait fort ! La référence évidente à "Singin in the rain" transpire complètement tout au long du film pour finir par être une véritable note d'intention lors de la séquence finale. Séquence finale qui est d'ailleurs un immense hommage à tous ces films qui on traversé le XXème et XXIème siècle. On peut également voir dans le film un hommage au cinéma de Tarantino notamment avec le personnage de Brad Pitt et son accent italien, référence directe à Inglourious Basterds, plus globalement aux personnages de Tarantino hauts en couleurs mais aussi avec des scènes complètement folles (notamment celle où un éléphant défèque pendant une minute sur un type).
Le film est également un hommage au cinéma en tant que travail. Je travaille moi-même dans le monde de l'audiovisuel et je peux vous assurer que, même si le film se déroule dans les années 20/30, les problématiques que l'on rencontre sur les tournages sont exactement les mêmes. Il y a toujours des imprévus ou quelque chose qui déconne au moment de tourner mais tout le monde se donne à fond pour réussir à faire ce film (en témoigne la scène où Diego Calva se démène pour trouver une caméra pour terminer la scène avant le coucher du soleil). Et c'est grâce à cette détermination et cette motivation que le personnage va réussir à gravir les échelons.
Les acteurs sont tous excellents et dirigés d'une main de maitre. Margot Robbie est charismatique et magnétique en star montante complètement tarée et sous coke (si elle choppe pas un Oscar, je ne crois plus en rien); Brad Pitt est d'une justesse folle, drôle et touchant à la fois; Diego Calva est bouleversant et s'impose comme étant un acteur sur lequel il faudra parier dans les années à venir. Tout le casting est complètement dingue et putain que ça fait du bien de revoir Flea au cinéma !
Côté scénario, s'il peut paraitre très décousu, et dépourvu de fil rouge mais il n'en est rien. Chaque personnage a une évolution interessante et importante, et tous servent le scénario et le message que Chazelle souhaite faire passer. Les 3H10 passent à une vitesse folle malgré le fait qu'il se passe à la fois tout et rien en même temps.
Au delà du scénario, Babylon est une véritable prouesse technique. Les nombreux plans séquences présents dans le film sont absolument renversant et la photographie l'est tout autant. Le montage est stratosphérique et est signé Tom Cross, monteur qui travaille avec Chazelle depuis Whiplash et qui marque chacun de ses films par une patte artistique sublime et qui se marrie à merveille avec la mise en scène de Chazelle. Ces deux là ne doivent pas se lâcher ! La BO composée par Justin Hurwitz est magnifique comme à son habitude, et retranscrit parfaitement le style des années folle, la folie des personnages et plus globalement, la folie du film.
Ce qui me chagrine beaucoup, c'est que ce film ne fonctionne pas aux USA. C'est un vrai bide et les critiques ne sont pas tendres non plus. En ayant vu le film je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi. Pourquoi Babylon n'attire pas les foules? Pourquoi le dernier Spielberg subit le même sort? C'est un triste constat que l'on peut faire sur la manière dont les gens consomment le cinéma aujourd'hui, préférant se payer une place pour aller voir un film "d'action" plutôt qu'un film d'auteur. Il est très probable que, avec l'augmentation des places de cinéma, les gens préfèrent aller voir des films comme Top Gun, Avatar et autres films Marvel car ils sont sûr d'en prendre pleins les mirettes devant un film où de nombreux effets spéciaux seront présent à l'écran. J'espère sincèrement que les studios continueront de miser sur des projets ambitieux comme Babylon malgré le fait que les spectateurs ne se déplacent plus.
Je souhaite de tout coeur que le film marche en France et qu'on arrivera à prouver, grâce aux entrées en salle, que nous sommes le pays du cinéma et que nous aimons les films sur le cinéma!
Je pourrais parlé de ce film pendant des heures mais je terminerais en disant que si vous aimez Chazelle, la musique, les personnages hauts en couleurs, l'adrénaline, les montages rythmés, des scènes exubérantes et complètement absurde et plus globalement si vous aimez le cinéma, foncez en salle voir ce film. Vous ne le regretterez pas !
Update 23/02/23: J'ai lu énormément de critique concernant la dernière séquence du film. Qu'il s'agirait d'un ego trip, qu'elle en serait même détestable pour certains, digne d'un montage de première année en école de cinéma pour d'autres, que Chazelle a eu la prétention d'inclure son film dans cette séquence etc. Selon moi, c'est tout le contraire d'un ego trip car pour vouloir inclure des plans de films cultes, qui ont révolutionné le cinéma, il faut avoir l'honnêteté de se rabaisser légèrement pour parler d'autre chose que de son film. Beaucoup de réalisateurs bien mégalo n'auraient jamais pu faire une telle chose. Dans cette séquence, Chazelle dit "Merci Bunuel, merci Cameron, Spielberg, Godard, merci aux Wachowskis, parce que sans vous, nous n'aurions pas connu toutes ces révolutions techniques et artistiques et je ne serais pas là pour faire mon film". Sur le sens de cette séquence (Chazelle et son monteur l'ont confirmé), il s'agit purement et simplement d'une sorte de tunnel temporel dans lequel s'engouffre Manny en regardant "Chantons sous la pluie" et dans lequel il ne faut trouver aucune logique réaliste. Il regarde ce film qui parle de ce qu'il a vécu plus jeune et il est comme aspiré par ce qu'il voit, c'est pourquoi il finit par voir tout ce que le cinéma va apporter au fil des années: les premiers plans steady, les premiers plans en vue subjective, la 3D, l'arrivée du numérique, de la motion capture etc. qui sont toutes des révolutions techniques, au même titre que la captation et la synchronisation du son. Si Chazelle inclue des plans de Babylon a la fin de la séquence c'est parce qu'il s'agit de souvenirs de Manny qui lui reviennent à mesure qu'il a cette "vision" parce qu'il a complètement vécu ce qu'il voit à l'écran, il a vécu ce que narre Chantons sous la pluie.
J'avais pour envie de revenir sur cette séquence finale parce qu'elle m'a complètement enveloppé, percuté, scotché à mon fauteuil. Je ne m'attendais absolument pas à une telle chose et c'est ce qui fait la force de ce film et d'un mec comme Chazelle. Je comprends complètement qu'on puisse rester hermétique, c'est de l'art, c'est subjectif, mais je défendrais bec et ongle cette dernière séquence!
Allez voir des films, allez voir Babylon, soyez ému, touché, percuté, apeuré, dégouté, en bref, vivez le cinéma pleinement !