Après Whiplash, La La Land et First Man, Damien Chazelle revoit ses ambitions à la hausse avec Babylon : une fresque de trois heures à la gloire du Hollywood des années 20. Un spectacle burlesque, nerveux et déjanté, plus que jamais en résonnance avec le cinéma d’aujourd’hui.
Los Angeles, 1926. L’époque de tous les excès pour un Hollywood qui vit, insouciant, au rythme de soirées toutes plus trash les unes que les autres, à mi-chemin entre Gatsby le Magnifique et Le Loup de Wall Street. Une époque de débauche et de dépravation pour ceux qui ont façonné l’industrie depuis plus de vingt ans : « A quoi bon s’en faire ? On tournerait tous bourrés que les films marcheraient quand même… » peut-on lire en sous-texte. En vérité, tout ce petit monde déchantera bientôt face à l’arrivée de la plus grande révolution que la profession – et le public, forcément – ait connu jusqu’alors : le passage du muet au parlant.
Pour les uns, c’est un tremplin vers les étoiles. Pour les autres, c’est la peur de la chute qui s’installe. Alors, les voici qui s’accrochent pour rester le plus longtemps dans le game, un peu comme ce morceau de jazz entêtant signé Justin Hurwitz, qui revient tous les quarts d’heure et rythme la cadence de ce carnaval intempestif. Et puis, il y a ce montage ingénieux : un peu bizarroïde mais volontairement libéré, tant pour insister sur l’ambiance foutraque de l’époque que pour illustrer la confusion qui règne dans l’esprit de chaque artiste en proie à la retraite anticipée. C’est là, dans ce grand écart permanent entre la mélancolie ambiante et le burlesque le plus crade, que Damien Chazelle impose toute sa maîtrise.
Passées les orgies nocturnes à la Di Caprio, c’est bien dans le sillage de Tarantino que Chazelle choisit de s’inscrire avec Babylon. Si la comparaison avec Once Upon a Time in Hollywood est inévitable pour son immersion quasi-mélancolique dans les studios californiens, les influences Tarantinesques se répandent aussi jusque dans la structure du récit. Comme avec cette construction en chapitres, chacun ou presque étant soumis à une montée en tension progressive. Chacun étant aussi mu par une facette du 7eme art, du western à la comédie musicale en passant par le thriller horrifique (avec un caméo jubilatoire de Tobey Maguire).
Car Babylon n’est ni plus ni moins pour Chazelle qu’un passe-muraille, un tonneau des Danaïdes jamais rassasié de cinoche, multipliant les hommages jusque dans sa conclusion méta. C’est d’ailleurs précisément à cet endroit que l’ombre de Tarantino s’estompe au profit d’un regard optimiste. Celui d’un jeune auteur franco-américain oscarisé, bien décidé à sortir du cadre de son cinéma pour mieux en extraire toute la valeur.
A l’heure où le streaming confine et où les entrées en salles patinent, Babylon vient à point nommé nous rappeler tout le chemin parcouru par la profession, toutes les révolutions passées et à venir, toutes les crises traversées pour en arriver là. Ce geste plein d’audace, c’est le cri du cœur d’un cinéphile pour qui le cinéma n’a pas dit son dernier mot. Commencez à parler de révolution du 7ème art. À 38 ans, Damien Chazelle vient d’en provoquer une.