Babylon, c'est l'histoire du cinéma hollywoodien au sortir de la Grande guerre. Il est encore muet et ses étoiles brillent surtout par leurs expressions faciales et leurs gestuelles, pas encore par leurs voix. Mais la mue est pour bientôt, avec son cortège d'effondrement de carrières et son lot d'issues dramatiques lorsque la danse endiablée cesse enfin.
Babylon, c'est l'histoire de ces interprètes qui, touchant de trop près la lumière solaire des projecteurs, se brûlent les ailes dans une débauche de bacchanales éléphantesques. L'outrance n'a aucune limite dans un mélange de corps luisants de sueur et de drogues consommées à l'excès.
Babylon, c'est l'ombre noire projetée par les lumières crues du cinématographe qui conduit certains dans la gueule fétide du caïman où la noirceur infâme de l'âme humaine se vautre dans la fange la plus abjecte.
Avec cette fresque de grande ampleur, Damien Chazelle visite avec amour, gourmandise et lucidité ce monde où une fourmilière s'active dans son quotidien diurne pour faire naître des œuvres cinématographiques et s'abîme dans la débauche dès que l'astre solaire franchît l'horizon vespéral.
Il a su s'entourer par un casting fabuleux qui prend manifestement un plaisir inouï à incarner ces personnages ô combien attachants : Brad Pitt en star du muet dont le déclin semble auguré, Margot Robbie en étoile montante qui est partie pour se consumer en plein vol, Diego Calva en idéaliste de cet art qui le sublime, Li Jun Li en orientale magnétique, Tobey Maguire en effrayant épouvantail maléfique. La solitude de chacun de ces personnages ressent le besoin de se noyer dans la foule pour oublier la souffrance d'une âme esseulée lorsque s'éteint la lumière des projecteurs.
Après une première partie orgiaque où tous les excès sont permis, la gueule de bois des personnages nous invite dans leur intimité où se mêlent espoirs, déceptions et angoisses sourdes. L'inarrêtable rouleau compresseur hollywoodien va broyer ses enfants avant d'en abandonner les restes épars à l'histoire du cinéma. Que restera t'il d'eux ? Les moments d'intimité succèdent aux périodes de folie, entrecoupés d'instants d'angoisse voire d'horreur. Une constante apparaît néanmoins : la tension dramatique qui habite ce film tout au long de son déroulement.
Cette tension qui maintient le spectateur un éveil durant plus de trois heures est somptueusement soutenue par une bande originale absolument incroyable. Depuis les cuivres endiablés qui envoient une puissance sonore à vous faire dresser les poils jusqu'au piano qui apporte une touche de tristesse nostalgique à fendre l'âme, rien n'est à jeter dans cette virtuosité musicale. Un pur bonheur extatique à écouter !
La déclaration d'amour au cinéma qui clôt le film, depuis sa mise sur les rails jusqu'aux avatars les plus récents, s'avère extrêmement touchante pour les amateurs du septième art.
Babylon, c'est la fange qui apparaît sous le lustre des décors factices, c'est le drame qui survient après la folie festive, c'est la mort qui succède à la vie.
Coupez !