L'Histoire du cinéma (avec le grand H).
Damien Chazelle, après deux chefs-d'oeuvres consécutifs, expose facilement le tournant pris par l’industrie cinématographique à la fin des années 20 lors de l’arrivée du parlant.
Chazelle tient là son grande œuvre, use et abuse de ses cartes à jouer : générosité du format, comédiens (même si ce n'est pas forcément nécessaire), et tableau exhaustif par une série de plans-séquences sur les plateaux, le regard derrière la caméra mis sur le devant de la scène reprenant ce panoramique sur les tournages simultanés qu’on voyait déjà dans Chantons sous la pluie. Chazelle réussi tant bien que mal à capter l’énergie folle qui prends feu dans les hangars de l'image, la fugacité d'une carrière: multiracial, débordant d’idées et d’initiatives, le cinéma est à l'apogée de ce que l’industrie peut avoir de plus prometteur et rêveur.
Mais comment donner vie aux coulisses d’une telle euphorie, où l’excès est le maître mot : à l'époque d'avant la couleur, elle anime la vraie vie : l’argent et la notoriété semblent avoir pulvérisé toute notion de limite. L'orgie démesurée qui ouvre le film donne le ton : Chazelle fait des coulisses un objet de pur cinéma, épouse la foule sous cocaïne et livre une modulation trash allant au delà du Loup de Wall Street dans le genre.
Tout y est assumé : la catharsis voyant s'échapper des corps incapables de supporter les excès qu’on leur impose. Le mauvais goût est assumé, pas uniquement pour tempérer le glamour exagéré: il fait aussi de la vulgarité la matière même du cinéma, de manière assumée et engagée, car Chazelle, dans son exercice de style visant à incarner et caricaturer toute la palette de couleurs du septième art, imite autant l’ampleur d’un Griffith que la décadence que peut invoquer Scorsese, ou la descente aux enfers de la perversion et corruption de Gaspar Noé. Sur 3h, certaines séquences lassent et font souffler, à l’image de cette révolte contre la société bien-pensante sur laquelle on tire au coeur. Mais cette vulgarité se justifie par l'inspiration du cinéma muet, fil rouge des codes tout au long du film, exubérance du corps, sur commande, directement vers l’objectif. Le film met ses protagonistes acteurs de leurs personnages au sens propre, laissant s'exprimer leurs passions et dégager les extrêmes, jusqu'à l'indifférence. La question de l’arrivée du parlant, notamment dans une très longue séquence reprenant, en huit prises, toute la révolution de la prise de son sur un plateau, est une déclaration à tous les registres possibles pour célébrer le travail des artisans du cinéma.
Babylon est un film de dérision, une critique d'une industrie en roue libre.
Les dialogues sont empreints de sensibilité et de retour à la réalité, surtout dans les flash-back et scènes rejouées de Margot Robbie, la métaphore de l’incendie est des cafards représente la surexposition de certains au détriment des autres, l'abîme de ceux qui s’y exposent.
En laissant progressivement les personnages disparaitre dans la nuit opaque de Los Angeles, Chazelle salue une époque révolue et fait progressivement taire le tumulte fracassant de l'époque, pour le léguer à la caméra comme un héritage.
Le final, un trop plein d'images, citant à outrance toute l’histoire du cinéma à venir, le replace comme un grain de sable parmi des candidats à l’oubli, en passant l'ultime relais pour laisser les artistes poursuivre son rêve, convaincu qu’eux seuls ont le pouvoir d’en sublimer la douleur, dans cet art collectif.