Il y a vraiment de tout dans ce film: du bon, du mauvais, du neutre, du puant, du charmant, des fruits, des légumes, de la poudre, de l'alcool, de la voile, de la vapeur, et tout ce qui flotte ou dégouline entre les deux.
Commençons par le Nul à Chier: les quatre premières minutes (merde d'éléphant et pisse de prostituée en gros plan) dont on peut faire l'économie. Ensuite, les crachats incessants du gros truand sont aussi inutiles que glaireux. Seul le vomi robbien de la scène chez WR Hearst passe un peu mieux, dans la mesure où il rappelle M. Créosote du Sens de la Vie, ayant à peu près la même fonction: exprimer physiquement le dégoût des riches et du capitalisme.
Mais bon, de là à crier au génie..
Du côté des bonnes choses: la musique de Justin Hurwitz mérite amplement la déferlante de prix qu'elle lui a permis de remporter (et ce n'est pas fini). Son jazz "arrangé" au goût du jour réussit exactement à faire ce que Baz Luhrman avait raté avec son Gatsby moribond. Et les amateurs de Troy Andrews / Trombone Shorty seront emballés (ou pas, s'ils y voient un plagiat).
Le rythme global du film, bien qu'inégal, fonctionne bien; à chaque scène son tempo; et à l'ensemble une cadence porteuse qui fait assez bien oublier les trois heures. En prime, un beau montage/hommage au cinéma final; Tom Cross, monteur attitré de Chazelle, mérite là un Vorkapich de bronze [special reference needed].
Saluons aussi les prestations de Margot Robbie, qui montre enfin qu'elle sait jouer (jusque-là, je n'avais vu qu'une blonde californienne de plus); de Brad Pitt, touchant et juste, notamment dans sa scène avec la pseudo Louella Parsons. Quant à Diego Calva, nous ne doutons pas qu'il ira loin: quand on est le sosie de Javier Bardem à 25 ans (visage + voix + gestuelle + va-savoir-quoi-d'autres-au-point-que-ça-doit-être-"génant"-d'en-parler), on n'a pas trop de soucis à se faire pour l'avenir.
Quant au reste, notamment les grosses allusions à Chantons sous la pluie, elles fonctionnent à double tranchant. Si on ne les a pas vues venir, jolie surprise; mais les cinéphiles n'ont pas dû s'ébahir longtemps. Je suis content que Jean Hagen ait droit à une réplique (plutôt que Debbie Reynolds), elle qui incarne la horde innombrable des actrices qui ont été jetées par Hollywood après avoir servi.
Enfin, j'estime que la très longue scène de tournage extérieur (avec l'attaque de croisés contre on ne sait pas trop qui), la course à la caméra, les tournages à fond la caisse simultanés dans les cabanes, la course au soleil couchant, etc) est non seulement magistrale mais qu'elle vaut à elle seule l'intérêt du film. Et merci en passant pour le personnage de la réalisatrice (jouée par Olivia Hamilton), qui rappelle que le Hollywood d'avant consolidation des studios s'est construit avec de nombreuses femmes aux commandes.
Or, justement, c'est ce qui m'a manqué le plus dans le film: un aspect plus précisément historique de la "révolution" qu'a connue Hollywood au milieu des années 1920. Car ce n'est pas le cinéma parlant qui a changé les choses; les premiers essais de projection datent de 1924; tout le monde savait qu'on allait y arriver; ce n'était qu'une question de temps et de moyens. Non, ce qui a bouleversé le cinéma d'alors, c'est l'arrivée du gros fric, des requins de la finance, des truands du capital, qui ont flairé la bonne aubaine depuis leurs empires de la côte Est, et qui, à coups de dollars et d'OPA sauvages, ont coulé les studios indépendants, ont flingué les artistes créateurs et phagocytés les gros pour imposer leur code moral décérébré et en faire les mastodontes inébranlables que nous connaissons encore aujourd'hui et qui nous broient les gonades à coups de matraquage promotionnel, d'usines à truquages, de héros sans âmes et de scénarios tellement anémiés que si on leur donnait un verre d'eau sucrée, ils feraient un choc anaphylactique. Tout cela est plus que dommage et prouve en passant que Hollywood n'a toujours pas le courage d'attaquer de front ses vrais fantômes. Dommage, oui, vraiment dommage, d'avoir mélangé des personnages fictifs à des historiques, bref, d'avoir noyé le poisson pour éviter de dire des vérités qui fâchent.
Bon sang, il y a même "le Comte" (joué par Rory Scovel), ce dealer qui a vraiment existé, qui fréquentait les studios, fournissant coke, amphétamines et héroïne à tous ceux qui en demandaient, qu'aucun producteur n'a jamais évincé (ni aucun flic de studio non plus), dont on n'a jamais su la véritable identité, et qui est responsable de la mort par overdose de dizaines et de dizaines d'acteurs de l'époque.
Bref, pourquoi avoir gâché un tel potentiel avec ces paquets de merde, de pisse, de vomi et de crachats même pas injurieux? C'est quand même très con, je ne vois pas d'autre terme.
Conclusion: si quelqu'un a le courage et le temps de refaire un montage du film, il est possible que le résultat serait infiniment plus intéressant.
Quant aux vrais fantômes de Hollywood, ils peuvent dormir tranquille; personne ne les dérangera avant longtemps. Sans doute pas avant que Los Angeles soit un tas de cendres.