"Baccalauréat", film plutôt célébré du célèbre Mungiu (et hop, une babiole cannoise de plus à exposer sur la cheminée !), est d'autant plus admirable formellement qu'il est douteux moralement (et politiquement)... à moins que ce ne soit l'inverse. Remarquablement filmé en plans séquences mobiles qui évoquent l'intelligence du cinéma des Dardenne (par ailleurs producteurs, il n'y a pas de hasards...), "Baccalauréat" impressionne surtout par son obstination dans le non-dit, le hors champ, l'irrésolu - qui frustrera sans doute bien des spectateurs captivés par sa construction de quasi polar social - au point qu'on pourrait qualifier sa démarche artistique de presque "antonionienne" : y a-t-il même un sens derrière cette menace sourde que l'on ressent continuellement, y a-t-il une issue alors que toutes les décisions prises par le triste héros du film, quelles qu'elles soient, ne mènent qu'à des désastres ? J'écris "presque" car c'est dans ce "presque" que se niche malheureusement la faille de la démarche de Mungiu, qui détruit le film, le rend tellement douteux qu'il en deviendrait facilement détestable : à travers cette indécision flottante si élégante, Mungiu nous dit tout et son contraire. Que la Roumanie est un pays irrémédiablement pourri par la corruption, les arrangements et les compromis quotidiens. Que l'on DOIT choisir de quel côté de la barrière on veut vivre, et que le moindre pas de travers ouvre un gouffre de désastres sociaux et de désespoir. Mais aussi que l'on est humain et que finalement, ce n'est pas si grave, l'amour que l'on donne - plus que la fin, certes - justifiant les moyens. Bref, "Baccalauréat" est à la fois une leçon de morale assez démonstrative (manichéenne dirions-nous) et une autorisation roublarde à compromettre nos principes : et ça, ce n'est guère acceptable. Sinon, à la sortie de la salle, des spectateurs discutaient entre eux pour savoir si c'était un chien ou un enfant qui avait été renversé par la voiture de notre sinistre héros, preuve que l'accumulation de McGuffins à laquelle se livre Mungiu fonctionne parfaitement. [Critique écrite en 2016]