Qu'est ce qu'il reste lorsqu'un être cher disparaît ?
Un vide, c'est sûr.
Et de ce constat, Joachim Trier dresse son film, synesthésie superbe formée de fragments d'intimités pudiques. Sans chercher jamais à le remplir, le jeune réalisateur, déjà bien remarqué avec son précédent film Oslo 3 Août, s'applique plutôt à le souligner dans toute son ambiguïté, toute sa subjectivité.
Il brille ainsi dans l'art mélancolique de l'inspection des âmes et peints des portraits beaux, touchants, de ses trois hommes perdus et laissés à leurs confrontations, réagissant chacun à leur manière à la perte de cette femme qui fut pour eux mère ou épouse.
Plongés dans ces ambiances douces, apaisantes, pleines d'émotions, et isolés comme le sont les personnages dans une nature jamais bien loin (par les sons ou par l'image), le spectateur se laisse aller à cette balade déprimée en territoires délaissés, peut être plus que ceux que le personnage de Huppert prenait en photo, à travers le monde. Magnifié par un sens de l'image très moderne, avec ses jeux de flous, ses gros plans, très sensitifs et tactiles, le film dégage un dynamisme jeune, revigorant, malgré son allure tristement désolée. Si quelques scènes se répètent et semblent tourner à vide, d'autres sublimes compensent parfaitement, comme notamment la lecture du texte de Conrad, moment de grâce adolescente et de fraternité délicate jamais vue aussi clairement.
Joachim Trier s'attaque majoritairement aux affects émotionnels de l'adolescence, aux pressions sociales du sexe et du conformisme et trouve le juste ton pour révéler à merveille le talent explosif de Devin Druid, révélation évidente du film. Mais Eisenberg aussi se révèle, dans un registre où l'on ne l'attendait pas vraiment, excellant dans ce rôle de jeune-adulte, encore trop immature, fougueux malgré un de statut de professeur, de mari et de père qu'il peine encore à tenir.
Gabriel Byrne est lui aussi impeccable en père maladroit, tentant comme il le peut de compenser le vide laissé par une mère trop vite partie. Isabelle Huppert l'interprète, avec douceur, là sans être là, présence fantomatique qui erre dans des lieux encore emprunts de sa vie. Trier montre avec génie son sentiment lorsque, de retour de ses voyages photographiques, elle se rendait compte du petit monde qui s'était organisé autour de son absence, et se mettait à s'en sortir sans elle, sentiment qui ne pouvait que la précipiter à repartir encore.
Ce n'est pas que sa présence gênait les trois hommes de la maison.
Mais ils n'avaient dorénavant plus besoin d'elle.
Et pourtant sa disparition brutale, énigmatique, dont on ne peut que deviner l'intention suicidaire, démonte tous leurs acquis et vient soudain éclater à la surface et révéler leur manque d'elle.
Un vide soudain, éclairé par la caméra de Trier, qui en révèle toutes les failles mais qui ouvre le champ des possibles.
Des majorettes qui effectuent des pirouettes dans les airs se font métaphores sublime d'une capacité de résilience, de rebondissement et d'ouverture à une vie encore à faire.
Multipliant les séquences en apparence inutiles, gratuites, oniriques, Joachim Trier révèle tout son talent pour créer des univers décalés et un récit déconstruit au sein même de la douleur tragique d'un réel concret, et confirme un talent qu'il nous avait en partie laissé entrevoir avec son précédent film.
Il est dorénavant le jeune réalisateur à surveiller le plus près possible.