Bad Buzz est une expérience singulière, finalement plus difficile à détester que ce que son casting et sa promo (vomitive) sur le plateau de Quotidien avaient annoncé. Je dis d'abord « expérience » et pas « film », car il se pose tellement en navet qu’on ne peut pas vraiment le comparer à une autre sortie ciné de cette année. Et c’est peut-être ce qui me l’a rendu sympathique, malgré ma réticence initiale : son côté complètement hors charte, son rôle unique (et somme toute rempli) de faire la publicité d’un talk-show, d’en reproduire une partie de l’esprit bêtement iconoclaste et abrutissant. Eric et Quentin sont deux comiques conscients d’être mauvais, carburant au je-m’en-foutisme qui fait une partie du charme, certainement pervers, de l’émission de Yann Barthès ; ils sont, avec leur humour médiocre et décomplexé, les ambassadeurs d’une certaine américanisation du prime time français, de celle qui fonctionne à peu près, qui réussit à capturer cet esprit de tranquille négligence qu’on observe outre-Atlantique chez Stephen Colbert ou Conan O’Brien. Ainsi et étonnamment, en partant du postulat (réaliste, en fait) que Bad Buzz est un produit dérivé de la marque Quotidien, on se retrouve face à un divertissement correct : pas du cinéma, plutôt un prolongement, une opération de « fan service », un coup de com.
Bad Buzz est d’une vulgarité éhontée, empile les gags à base de trisomiques, de réfugiés, de nazis, de zoophilie, de grands-mères qui prennent feu et de militants d’extrême-droite. Une blague sur deux fait référence à du pipi, du caca ou du vomi. Dit comme ça, ça ne vend pas du rêve. Mais finalement, c’est tellement mauvais, ça va tellement vite, qu’on n’a pas vraiment le temps d’y réfléchir. Eric et Quentin font ce qu’ils savent faire, en pire : tout à fait hystériques, grossiers et approximatifs, ils jouent tellement mal qu’ils aident le spectateur à prendre de la distance face à la brutalité des sketches, tous plus idiots et insultants les uns que les autres. Il y a, dans cet esprit de démission, un certain côté Judd Apatow ou Adam McKay, qui racontent leurs histoires avec la même négligence autosuffisante : comme chez eux, c’est très très con, c’est très très rapide, c’est si outrancièrement caricatural que le spectateur est invité à voir le film avec le même détachement blasé que ceux qui l’ont fait. Dans cette expression ultime d’un cynisme échevelé et sans tabou, Bad Buzz trouve (à mon grand dam) un équilibre délicat et surprenant : comme les acteurs et le réalisateur, on s’en fiche complètement, et comme eux, on préfère rire de ce naufrage orchestré où tout est grossier, minable, gratuit, souvent déjà vu.
Le film ne s’arrête jamais. Pas une seconde de calme, pas un instant sans un gag moisi ou un surjeu, d’Eric, Quentin ou de n’importe quel second rôle – en roue libre totale, et à l’enthousiasme parfois communicatif. Personne n’en a rien à battre, et c’est ça qui est presque magique. Bad Buzz rappelle beaucoup Vive La France, de Michaël Youn, avec ses sketchs qui filent à toute allure en enchaînant n’importe comment les sujets de société du moment, tous prétextes à des blagues crades et débiles. Mais là où Youn et Garcia s’empêtraient dans une démonstrativité zélée qui cherchait trop à faire « cartoon », Eric et Quentin, qui choisissent de rester naturellement mauvais, permettent à leur film d’atteindre une certaine cohérence et, quelquefois, une réelle efficacité dans la bassesse, ici pleinement assumée. Je dois même avouer que le scénario m’a relativement plu, dans sa manière complètement craquée qu’il a de relier les gags entre eux, c’est-à-dire sans aucune manière : s’y mélangent à l’aise enterrement, adultère, lolcat, toucher rectal, produits bio, mariage blanc, alcool, drogue, point Godwin et zoophilie avec la grâce d’un Very Bad Trip polonais qu’on aurait tourné avec un budget de deux euros. C’est donc complètement nul, mais, comme chez ses modèles américains, c’est plutôt bien calculé dans la nullité, voire vaguement attachant dans cette expression relâchée d’un cynisme hilare, pleinement régressif, d’autant plus salvateur chez nous qu’il se pose en nécessaire contrepoids d’un paysage de comédie traditionnellement balisé, conservateur et parfois très fade, qui contribue malgré lui à faire de Bad Buzz l’amusante surprise qu’il est : un nanar total, absolu, qui se revendique comme tel.