Contrairement à beaucoup, ce n’est pas mon Abel Ferrara préféré. Au-delà de l’atmosphère saisissante de l’ensemble qui oscille entre aspect documentaire et envolées oniriques, le film en fait vraiment des caisses sur l’univers de la drogue. Qui veut connaitre toutes les pratiques peut se rabattre sur la projection de ce film. Les shoots, la snif, la pipe et tout le reste sont détaillés d’une scène à l’autre entre deux gorgeons d’alcool fort. Le truc en lui-même ne me pose pas de souci, même si ces différentes prises n’ont pas été simulées durant le tournage. Ce qui me dérange, c’est que sur 1h35 du film, Harvey Keitel se défonce plus d’une heure. On comprend bien le portrait du mec rongé par la drogue mais il n’est certainement pas besoin de s’étendre autant dessus. Cela n’éclaire pas davantage le propos et le propos lui-même tend à perdre de sa force.
La descente aux enfers est bien rendue mais on ne comprend jamais le pourquoi du comment. Bien entendu, on devine que le contact de la rue a pourri ce flic jusqu’à l’os mais Abel Ferrara ne cherche pas à s’embarrasser d’une petite psychologie de comptoir. Il préféré enfiler les scènes de provocation pour montrer son personnage à la dérive. Le parti-pris peut se justifier mais je le trouve trop désincarné. De la même façon, hormis deux ou trois scènes, on ne voit pas franchement le flic dans ses fonctions. On aurait aimé voir un type barré mais bon flic capable de terrasser les pires ordures ou bien un type barré et mauvais flic de surcroit, histoire d’en rajouter une couche sur son portrait déjà peu reluisant. Mais Abel Ferrara évacue cet aspect : en dépit d’un délit marquant, il n’y a pas d’enquête dans Bad lieutenant. C’est regrettable même si on comprend bien que le film est davantage un drame qu'un thriller.
La force du film reste son interprétation complètement hallucinée d’Harvey Keitel et sa capacité à faire s’entrechoquer des thèmes comme la déchéance et la religion. La scène où la sœur explique à Harvey Keitel pourquoi elle pardonne à ses violeurs est ainsi une des plus fortes du film même si la vision du Christ est certainement un peu cheap. Bad lieutenant est indéniablement un bon film même si son réalisateur en fait trop. À titre personnel, je préfère ses premiers films en dépit de leurs maladresses.