Bande à part
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Tout débute sous les feux d'un stade. Un match de football américain, avec ce que cela suppose de corps entrechoqués. La partie en est bientôt à son terme. Elle est cernée de ralentis qui en décuplent l’énergie. Jusqu'à la victoire où les visages se découvrent, souriants, exaltés. Le film débute à peine mais il dégage déjà un incroyable sentiment de proximité. L'arbre qui cache la forêt en fait, Bande de filles n'abandonnant ses personnages que pour les mettre dans une bulle, aux mains d'une bande-son aussi aérienne que les cadrages sont massifs, magnifiant ses extérieurs sans tomber dans le piège de la carte postale misérabiliste. Capté en plan-séquence, même le bref passage dans un appartement cossu ne déviera pas de ce parti-pris.
Éviter les pièges tendus par un décor de banlieue n'est pas une mince affaire. Parce qu'elle reste à hauteur de ses protagonistes, Céline Sciamma leur confère une humanité palpable. Entrecoupé d'écrans noirs métronomiques qui sont autant de silences au milieu des voix de son quatuor, Bande de filles se montre à la fois intègre et mesuré. Ainsi, il n'a rien d'un film politique. Vous n'y verrez pas un officier de police, pas même en fin de métrage comme le faisait L'Esquive d'Abdellatif Kechiche de façon trop mécanique, il y a maintenant dix ans. Quant à la notion de communautarisme, elle est naturellement inscrite dans Bande de filles mais pas en tant que sujet à débat.
De même, les rapports de son héroïne avec les hommes sont évoqués avec nuance. Voir pour cela le traitement réservé à un grand frère dont la présence se résume tout d'abord à quelques bruits sourds, aîné dont la bienveillance s'accompagne d'une brutalité intolérable. Les personnages ne sont d'ailleurs pas érigés en arguments sociologiques, ni en prétexte à l'indignation facile. L'empathie est, à ce titre, loin d'être immédiate : les protagonistes se dessinent au fil de leurs décisions et de leurs faiblesses, d'un premier racket risquant de briser l'empathie du public au geste protecteur d'une sœur pour sa cadette. Humains, ils ne sont pas uniformément bons, mais doutent, blessent, chutent et persistent.
Dans le même ordre d'idée, la violence se concentre le plus souvent sur d'authentiques duels à mains nues, planifiés et organisés entre des bandes rivales, loin de rixes soudaines. Une contre une, sous le regard d'un petit comité de téléphones portables prêts à balancer les vidéos sur le net pour rendre indélébile la défaite du camp adverse. À vrai dire, la réussite du projet réside dans un élément difficile à définir : le naturel. Bande de filles est attachant car crédible, sa sûreté de ton lui autorisant des libertés aussi grisantes qu'une parenthèse pop sur fond de Rihanna. Un passage magnifique, souvenir naissant traversé par la même jeunesse qui habite le long-métrage et qui, ici, s'en empare avec une grâce folle.
Alors que l'on pouvait s'attendre au pendant féminin de La Haine, Bande de filles n'en est pas l'héritier. Mais il arbore, en revanche, le même respect pour ce qu'il montre. Tout comme son héroïne refuse les chemins balisés (orientation scolaire par défaut, promesse d'un mariage et d'une vie de famille), Céline Sciamma tourne le dos à la caricature. Bien décidée à bâtir un long métrage solide, la cinéaste s'autorise un plan final somptueux, écrasant la perspective pour mieux y découper une silhouette enfin détachée de son cocon familial. Chronique adolescente qui se suffit à elle-même, animé par des comédien(ne)s formidables, Bande de filles touche, par la force de son style, à une forme de réalisme souvent salvateur.
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Créée
le 5 mars 2015
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