Non, bien sûr, ce film ne cherche pas à refléter la réalité : j'ai eu 16 ans et je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais entendu parler de joyeuses partouzes enfumées où tous les corps se dénudent en groupe sans la moindre hésitation ou le moindre complexe.
Eva Husson a bien entendu cherché ici à faire oeuvre avant tout artistique et esthétique : et, sur ce point, on peut dire que c'est parfaitement réussi. Poussant la logique hormonale et décadente des post-ados à l'extrême, elle nous dépeint un groupe d'amis assez oisif qui ne vibre que dans l'intensité d'une sexualité totalement débridée. Il y a du vrai dans le constat que dresse le film et qui fait état de difficultés à communiquer véritablement (malgré l'invasion des écrans), à s'aimer et à se séduire délicatement sans forcément passer à la casserole dès les premiers échanges. En ce sens, nous serions face à une génération désabusée et anti-romantique au possible, où le sexe n'est qu'un outil supplémentaire pour accéder à un trip, tout comme les multiples paradis artificiels qui peuplent leurs soirées. Une décadence manifeste qui n'est pas sans évoquer l'atmosphère sensuelle et vénéneuse de Dreamers de Bertolucci.
Pourtant, il y a, à la manière de Spring Breakers, un second degré évident dans Bang Gang, une envie de pousser tous les curseurs au maximum pour voir ce qui en sortirait : filles à peine nubiles (et invraisemblablement impudiques) au corps parfait, garçons remontés comme des pendules, drogues et fiestas en pagaille - dans des maisons bien évidemment vidées de toute présence parentale. Sans garde-fou, voilà les corps impatients qui s'étreignent, multiplient les partenaires de façon inconsciente (puisque non protégée), s'attachent, se désirent et se mentent. Les filles jouent le jeu des garçons, par mimétisme, écartant les cuisses aussi facilement qu'ils baissent leur braguette.
On voit bien vite toutefois qu'ils ne sont tous que des enfants qui jouent avec le feu sans se soucier des risques médicaux ou des conséquences sentimentales. Les linéaments du corps de George (prénom intéressant d'ailleurs, qu'on dirait clin d’œil - ô combien ironique - à Sand) sont ceux, encore, d'une petite fille : sa moue boudeuse, son envie d'être aimée par tous les garçons, en disent long sur sa maturité émotionnelle. Pourtant, quelle beauté de poupée que cette actrice, mélange physique de Sara Forestier et d'une jeune Bardot - renversante de sensualité.
Bang Gang permet à une sacrée bande de jeunes talents de faire montre de leur.... investissement (et de leur talent, aussi) : Finnegan Oldfield, toujours impeccable, montre avec ce nouveau film d'auteur (genre auquel il semble attaché) qu'il est un acteur qui compte désormais, qui peut tout jouer; Lorenzo Lefèbvre (qui incarne Gabriel), ange taciturne aux boucles châtain nous offre une belle partition sensible et sa présence dans la (superbe) scène finale me marquera longtemps.
Mais la force de ce film, ce n'est certes pas son scénario : c'est bien son image, son esthétique sublime et sa bande-originale à tomber par terre. La photographie, signée Mattias Troelstrup, nimbe corps et visages d'une pellicule douce et solaire que j'ai trouvée très belle, tout en intercalant des plans naturels très poétiques. La musique m'a évoquée les choix encore de Spring Breakers, un décalage entre son et image parfaitement magistral : il faut voir cette scène de fête dans une maison bondée, ces chairs qui se rapprochent sur fond de Auf dem Wasser zu singen de Schubert. La rencontre visuelle et auditive du monde contemporain et du lied lyrique : un cocktail qui me renverse immanquablement. J'ai également beaucoup apprécié certains morceaux électro-techno très actuels et parfaitement choisis. Les scènes de sexe sont assez crues mais plutôt belles - mention spéciale pour la dernière, et ce soleil qui s'immisce magiquement entre les corps qui s'étreignent.. quelle trouvaille !
Bang Gang parle au fond de l'absence d'idéal d'une génération désenchantée qui a accès à tout sans difficulté, ne sait que s'électriser jusqu'au vertige, pour qui le corps n'est qu'un viatique pour parvenir à la jouissance, mais un outil qu'on ne comprend ni ne respecte guère. Le sous-titre (Une histoire d'amour moderne) est, selon moi, bien ironique, car d'amour il n'est que très peu question : Bang Gang est avant tout un histoire de désir, seul capable d'imposer son pouvoir sur l'autre, quand l'amour, au contraire, place celui qui le ressent dans une situation vulnérable peu enviable.
La scène de flamme que George éteint à temps, à la toute fin, m'a également fait songer à l'absence, de nos jours, de tout rite de passage officiel de l'adolescence à l'âge adulte, pourtant essentiel à l'arrivée dans la maturité et l'âge de raison. On se cherche alors, on explore. On explore les potentialités des corps, on se brûle les ailes, on joue avec le feu, on tutoie le vertige, on s'approche sans crainte de la chute - au risque de laisser quelques plumes de son duvet d'oisillon. Encore et toujours : Eros et Thanatos.
Bang Gang est donc une proposition singulière, symboliquement très riche, visuellement magnifique et qu'accompagne une bande-originale ensorcelante - ajoutez à cela une belle brochette de vingtenaires fort prometteurs, et vous obtenez une oeuvre moderne et radicale, mélancolique et crue - du plus bel effet.