Il suffit de regarder Les Disparus de Saint-Agil, L'Assassinat du Père Noël et Sortilèges, qui comptent parmi ses meilleures œuvres, pour se rendre compte que Christian-Jaque aimait beaucoup insuffler de l'étrangeté et du mystère du conte dans une intrigue réaliste. En conséquence, il aurait été étonnant qu'il ne tâte pas un jour directement de ce genre. Résultat, on a ce Barbe-Bleue, mais on est très loin d'être au même niveau de maîtrise.
Deux très bonnes choses à signaler tout de même. Première bonne idée de l'ensemble, l'avoir tourné en couleurs (ce qui était quasi inexistant dans le cinéma français de 1951 !), mettant bien en évidence les costumes et les décors ainsi que le bleu de la fameuse barbe de l'épouseur en série, donnant volontiers l'aspect visuel d'un livre pour enfants. Seconde bonne idée, avoir mis deux silhouettes totalement opposées l'une avec l'autre, Pierre Brasseur, qui a été bien amplifié (par ses costumes et par le ton rugissant et caverneux de sa voix !) pour lui donner une allure d'ogre, et Cécile Aubry, qui a un visage très enfantin et une très petite taille ; cela fait apparaître un contraste singulier et fascinant. Ils forment un couple aussi surprenant et amusant que touchant.
Problème, le film ne sait pas s'il doit choisir entre la fantaisie qu'il semble vouloir adopter (faisant de notre sinistre individu un être en fait inoffensif et affabulateur, facilement désarmé et mené par le bout du nez par un être à côté duquel il semble pourtant être physiquement un ours, grognant beaucoup plus qu'il ne mord !) ou un récit sordide bien fidèle à l'esprit de Charles Perrault.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a des éléments qui auraient eu parfaitement leur place dans une version "sérieuse", donc cruelle de l'histoire originale, à l'instar d'un premier tiers (avec le kidnapping des "prétendantes" !), du chambellan sanguinaire et partiellement de la fin, mais qui insufflent trop de gravité dans un tout qui se voulait fantaisiste, voire comique.
Et je pense aussi, dans cette optique, au jeune prétendant de la protagoniste qui, bien exposé tout au long du film, avec un temps de présence aussi important que le géant et la jeune enfant (ce qui n'est pas du tout le cas ici, ne rendant encore plus insignifiant un personnage déjà bien insignifiant sans cela !), et interprété par un acteur un minimum charismatique (oui, celui qui le joue l'est tout autant qu'un bulot avarié !), ne se faisant pas totalement écraser sur ce plan-là par Brasseur, aurait parfaitement convenu à une adaptation proche du ton de Perrault. Mais, là, dans la fantaisie, il est clairement en trop. Moi, j'adore les époux improbables que l'on suit. Ils se suffisaient largement à eux-mêmes.
Conséquence, la fin est décevante, car n'étant pas du tout en cohérence avec l'attachement réciproque entre Barbe-Bleue, faux méchant, et sa septième jeune épouse, fausse ingénue.
Ce qui fait qu'en hésitant sans cesse entre deux directions diamétralement opposées, cette transposition bancale ne va véritablement nulle part et ne peut que donner une déception.