Grosse adaptation d'une licence bac à sable sans aucun lien avec les super-héros, attraction massive du public et direction artistique qui renoue avec une certaine facticité du décors propre au Hollywood Classique (notamment au sein de la comédie musicale ou du péplum), Barbie (2023, Greta Gerwig) apparaissait comme un projet séduisant, au cœur du grand spectacle américain qui dépérit de jour en jour.
Peut être allait-il signer le retour à des films capables de prouesses visuelles sans exclure un travail minimal de la psyché des personnages ? Ou, hypothèse plus folle encore, peut être allait-il se servir des plans, des cadres, de la lumière, des sons, pour former par le montage un discours, un enchaînement signifiant d'images qui formerai un tout ?
Peut être allait-il faire du cinéma ?
La première descente dans la Californie idyllique et les villas plastifiées de Barbieland nous fait contempler une chose étrange, une femme synthèse entre l'actrice et la poupée qui suit une routine d'actions purement abstraites, sans contact avec le corps, avant d'être baladée au son d'une musique pop à travers ce grand ensemble de trompe l'œil stratifiés selon leur aspect réel - la plage fait moins toc que les vagues - qui, associé à l'étrangeté de l'effets de troupes des Barbie et des Ken dont les paroles s'interpénètrent, au sein d'un univers aux règles qui se déploient devant nous (les actions des Ken, l'influence des Barbie, Allan), construit plutôt qu'un rêve, une prison toute rose.
Si les séquences de danses et le mélange corps-plastiques apparaissent au départ époustouflantes, comme à la suite de l'introduction lorsque les Ken entament une danse entraînante, tout en jeu de jambes, pour se rapprocher de Barbie, la forme du film se révèle très vite plus publicitaire que cinématographique, en cela que les plans sont rapides, plus ou moins esthétiques par le décors mais sans sens, sans âmes. Le film va utiliser les outils de la publicité moderne: de la vidéo en haute qualité, de courts panos ou travellings pour suivre les personnages avec dynamisme, des effets de montages cartoon ou des transitions d'espaces fluides à coup de balayages de l'écran (dans le voyage entre Barbieland et le monde réel) et des ralentis lors de scènes d'actions un brin fantaisistes; des procédés répétés sans nuances, sans variations ou agencements signifiants, qui alternent avec des plans d'illustrations plus simples pour les gags.
Ainsi en dépit de sa légère singularité visuelle, le film vient rejoindre la déchéance du divertissement cinématographique récent qui sacrifie la mise en scène au profit d'une forme assuré techniquement mais anti-cinématographique car sans visé réflexive ou sensorielle, qu'on trouve par exemple dans les films d'animations récents Super Mario Bros, Le film (2023) ou Miraculous - Le film (2023).
Heureusement, sortie de sa platitude cinématographique et du rythme parfois incertain de son scénario, le métrage se révèle, grâce à ses acteurs principaux (Margot Robbie en poupée naïve et dépressive et Ryan Gosling en crétin pathétique mais attachant), une comédie sympathique où l'homme apparaît toujours en parfait tocard, sorte de clébard incapable de survivre sans Barbie et qui échoue à imposer un patriarcat qui dit bien trop son nom. Cependant il serait ambitieux d'en attendre plus, son discours féministe s'étale avec de gros sabots dans de lourd champ contre champ et ne s'illustre jamais au delà de la caricature (la scène de la plage, les dirigeants de Mattel), rendant inutile les recours aux personnages du monde réel (Will Ferrell qui ne sert qu'à un seul gag ou le duo mère fille insipide) qui alourdissent le récit.
Mais parfois, au détour de séquences à l'apparence simple, presque naturaliste, Barbie partage un thé avec un fantôme presque silencieux, elle s'appesantit pour la première fois sur la véritable humanité, la cohabitation des états (émotionnels et physiques) divers en un même endroit: colère, rire, solitude, jeunesse et vieillesse; et des mains nombreuses s'agitent mécaniquement, réaffirmant un caractère de pantin qui s'oppose au devenir concret de l'ex-poupée Barbie.
Se pourrait-il alors que la publicité ait une âme ?