Barbie est exactement le film qu'on attendait : une publicité géante pour Mattel, qui sous couvert d'auto dérision, se paie le droit de préparer une quinzaine de films pour leurs jouets, et de préparer de beaux produits dérivés sur le succès futur de ce film. Mais bon. Il existe aussi des bons films qui mettent en avant des jouets : La Grande Aventure Lego reste un exemple américain pertinent, qui profite des références pour jouer dessus et faire un joli petit film d'animation autant apprécié des grands que des petits. Mais le problème de Barbie n'est pas tant là-dedans (bien que la pub est parfois trop évidente), c'est surtout qu'il va réussir son coup à se faire proclamer film féministe, alors qu'il n'est rien de plus qu'un produit formaté qui n'amène jamais à réfléchir sur le sujet, et qui dispose d'une mise en scène catastrophiquement plate.
Le ton est très vite donné d'ailleurs, et va éternellement se répéter : par un montage sur découpé et abusif, des plans d'une banalité qui s'enchaînent mécaniquement, le film n'est jamais intéressant cinématographiquement, à l'exception peut-être de ses quelques chorégraphies dansantes qui donnent du punch à toute cette fadeur, et ces mélanges de couleurs qui viennent proposer une esthétique intéressante dans les 20 dernières minutes. Tout le reste est du vu et revu, et ne parvient même pas à installer ce ton satirique qu'il prétend avoir. La caricature qui se joue entre la dichotomie évidente de Ken & Barbie ne sera efficace que par le prisme de Ken (quelle ironie) qui aura globalement beaucoup plus de présence dans l'humour que Barbie, et le ridicule de Ryan Gosling le rend très drôle. Dans sa façon de ridiculiser le principe du patriarcat, Greta Gerwig arrive à faire rire, mais ne va jamais chercher la réflexion autre part que dans l'absurdité, ne va jamais chercher à la mettre en scène. Tout va beaucoup trop vite dans le récit : à peine Barbie & Ken arrivent dans le vrai monde que les péripéties s'enchaînent, les rencontres des personnages concernés (une mère et sa fille, qui seront vite oubliés) sont complètement éclipsés, et leurs personnalités ne représentent aucune mélancolie, aucune force, aucune puissance féminine sous jacente qui devrait pourtant jalonner le récit. Non. Le film semble plus s'éclater à tout raconter très vite, faire rire de temps en temps avec Ryan Gosling, le personnage d'Allan aussi, mais ne prend jamais au sérieux le texte féministe.
Sérieusement, à quel moment peut-on prétendre que le film est féministe ? Ce n'est pas parce qu'il joue avec les codes en mettant en avant le fait évident que les hommes gouvernent plus, qu'ils prétendent avoir le contrôle, que le film devient féministe. Pour qu'il le soit, le message doit porter avant tout sur les femmes, leurs conditions dans ce monde. Or, Barbie ne s'en rend compte que par le biais d'un discours explicatif, raconté par la mère venant du vrai monde, symptôme par ailleurs de l'échec du film qui, n'ayant pas réussi à le montrer, préfère tout cracher dans un monologue qui sera applaudi mais qui n'a pourtant aucune saveur : parce qu'on ne nous a jamais fait connaître le personnage, déjà, mais surtout parce que ça ne sort de nulle part. Les relations entre les femmes du vrai monde et celles de Barbie Land, c'est LA que le film aurait dû plus s'aventurer et créer du conflit, mais il ne le fait pas. De même pour la fameuse raison pour laquelle Barbie va dans le vrai monde, à savoir qu'elle est contactée par son ancienne "maitresse" qui a finit par arrêter de jouer avec ces poupées. Là y a quelque chose d'intéressant à développer, mais il ne le fait pas. Il laisse ses personnages fades, tout comme l'adolescente qui au début du film semble avoir un esprit bien rebelle, mais qui finit en 10 min par être totalement inutile et suit sans problème les soucis de la Barbie qu'elle semblait pourtant mépriser profondément. C'est d'une grande flemmardise, que de raconter le féminisme et le patriarcat avec autant de raccourcis. Car du coup, le film n'apporte finalement aucune réflexion sur le sujet, et surtout, le coté réussi est finalement celui où ce sont les hommes qui sont en scène : entre l'humour timbré de Ken, les chorégraphies, les chants.. Les femmes, elles, sont réduites dans le récit, peu présentes, représentées que par un cruel manque d'écriture dans leurs personnalités (alors qu'il y a des personnages différents).. Ce qui crée un drôle de paradoxe : ce qui est moqué, finit par être ce qui est le plus intéressant cinématographiquement. Et ce qui est doit être un message fort, est lissé par la sage présence de Barbie.
Et surtout, qu'est ce ça m'agace, que cette famille soit aussi formatée et serve de produit de vente pour la marque de la voiture qu'elle conduit dans le film. La façon dont est filmée la course poursuite.. on dirait vraiment des plans de publicités pour Chevrolet. Non seulement, le rythme ne donne rien d'épique à la course, mais en plus, tu vois la pub venir droit dans tes yeux.. C'est vraiment ridicule. Bref. Il n'y aucune complexité, que ça soit dans les regrets de jouer avec la Barbie, du fait que le jouet est maintenant daté compte tenu de la volonté des femmes de faire prendre conscience aux hommes qu'ils n'ont pas à dicter leurs choix. Toutes ces thématiques sont là mais sont plongés dans le vide abyssal de cette mise en scène, par cette sur présence de Mattel qui n'hésite même pas à faire des blagues méta (sur Margot Robbie, et même sur leurs fraudes fiscales..lol..) et par un montage passé au hachoir, qui ne véhicule aucune émotion, et qui arrive à proposer quelque chose d'intéressant que par le biais des blagues de Ken. Et je ne pense pas qu'une blague à répétition sur la cellulite soit ce qu'il y a de plus intéressant à faire pour dénoncer la thématique de la "femme parfaite" souvent imposée en société. Ca peut frapper juste, mais le répéter fait que l'on survole tout le temps le problème.
Dire qu'on a un cinéma tellement plus riche qui montre le féminisme d'une autre manière, avec plus de complexité et de maitrise, tout en étant parfois drôle : le cinéma de Kelly Reichardt, Sophie Letourneur, Justine Triet, Ceylan, Ben Hania.. Ne reste de Barbie que le sentiment d'avoir vu un grosse pub pas très intéressante, parfois drôle, qui servira de film-leçon pour les plus jeunes, mais qui ne va jamais chercher plus loin. Ni dans le message, ni dans sa pauvre mise en scène.