Et oui, le-voilà, le film tant attendu, après des mois de campagne publicitaire acharnée, le-voilà !
Sur le papier, Barbie avait de quoi faire peur. Dans les faits, c’est une toute autre histoire.
Barbie débute comme une parodie plan par plan de la séquence d’ouverture de 2001, l’Odyssée de l’Espace. Les primates sont remplacés par des enfants jouant à la poupée, jusqu’au jour où le monolithe Barbie débarqua. Tout est dit, d’une séquence qui pointe du doigt une conscience de la technique et le progrès humain, on en arrive à une ère de surconsommation, qui envahit les esprits.
Barbie, c’est le film de tous les excès, qui n’a jamais peur de ses idées ; et justement, elles foisonnent. Passant d’un décor entièrement plastique d’un rose qui pourrait rendre la vue à un aveugle, où tout passe par l’imagination (fausse piscine, fausse douche, comme si le spectateur jouait avec cette Barbie), aux affres du capitalisme et du patriarcat, Greta Gerwig ne refuse rien, même certaines séquences musicales absolument savoureuses et kitsch. Le film assume toute la grossièreté, l’emphase et la démesure de son univers, le rendant hilarant, d’un humour volontiers anglais et outrancier, mais sans jamais se moquer de sa protagoniste. Margot Robbie, Ryan Gosling, ainsi que d’autres acteurs comme Will Ferrell, excellent tellement dans la caricature hyperbolique qu’ils en deviennent sincères, et donc touchants. C’est d’une énergie folle, ça explose un peu de partout, c’est déroutant, mais ça fait du bien.
D’autant plus que Barbie sait saisir l’opportunité de calmer le jeu, et d’offrir des moments plus posés, des scènes épurées qui surprennent et qui émeuvent par leur candeur. C’est avec une grande douceur que Greta Gerwig accompagne sa protagoniste. Par exemple, lorsque Barbie découvre des affects qu’elle ne soupçonnait pas, comme la tendresse, la compassion et la mélancolie, elle découvre cela d’une manière quasi infantile par : « c’est une sensation douloureuse, mais agréable ». C’est simple, mais c’est beau. Barbie est à plus d’un titre servi par une mise en scène lumineuse qui recèle d’idées de plans et de lumière — comme cette scène d’échange entre Barbie et sa créatrice,à bec en arrière fond, des tons de couleurs très douces, traduisant le trouble interne du personnage. Ce monde en plastique est restitué à sa juste valeur : un monde d’imagination et de beauté.
Et puis, bien sûr, il y a le sous-texte, la fable féministe qui se cache derrière cet univers rose. Barbie va donc dans le monde réel afin de partir à la rencontre de la petite fille — grande fille, ici, en l’occurrence — qui joue avec elle et lui donne cellulites, dépression et pieds plats — ce qui n’est pas sans rappeler l’intrigue méta de La Grande Aventure LEGO. De là, Barbie va découvrir que ce pour quoi Barbie les Barbie sont prédestinés — devenir avocate, prix Nobel voire Présidente — sont en réalité des métiers d’homme. Ken, quant à lui, va découvrir l’univers foisonnant qu’est le patriarcat. A ce sujet, al réalisatrice vise juste et sait être pertinente, autant quand il s’agit de parler des femmes — le poids de la charge mentale ; la volonté de s’émanciper et de pouvoir être ordinaires autant que d’avoir de l’ambition — que des hommes — la masculinité toxique, la question de l’identité : au fond, c’est quoi « être un homme » ? Barbie est d’ailleurs nourri de beaucoup de théories féministes et philosophiques, telles celles de Simone de Beauvoir avec son Deuxième Sexe : la volonté d’une femme d’être réalisatrice, et non actrice, de sa propre vie — ce qu’est Greta Gerwig, par ailleurs. Toujours est-il que ce féminisme est sur le fil, et que les droits des femmes sont malheureusement fragiles, faisant écho au droit à l’avortement menacé aux États-Unis : les Barbie se retrouvent vite aliénées par les Ken, deviennent des objets et non des sujets.
C’est avec beaucoup de bouffonnerie que Gerwig regarde ce monde capitaliste et patriarcal, tournant (non sans jouissance) au ridicule tous les hommes du film. Quand bien même Barbie est une publicité d’1h50 à l’effigie de Mattel (et qu’il faut en avoir conscience), le long-métrage possède un côté méta très développé qui porte souvent à rire. Cependant, ça manque de subtilité : le message, comme tout le reste du film, est exagéré, exacerbé. Disons que si Barbie est destiné aux enfants, celui-ci sert d’introduction aux fondements du féminisme et du patriarcat. D’autant plus qu’il est parfois étouffé pat cette surdose d’énergie ardue à suivre. Le long-métrage va très vite, doit exposer ses théories sur des laps de temps très courts. De surcroît, nos Barbie ne laissent que très peu de place à nos deux humaines, qui ne bénéficient uniquement d’une histoire sous-jacente, très peu développée quant au reste de la production. On dirait surtout qu’elles servent de prétexte à l’histoire, plutôt que d’exister dans celle-ci.
Barbie n’en est pas moins une explosion d’énergie hallucinante, de part le talent de ses deux acteurs principaux et de part sa mise en scène délirante, qui ne manque pourtant pas de grâce.