Greta Gerwig s'est lentement mais sûrement imposée en figure d'un nouveau cinéma féministe, à tel point que l'annonce de son projet adapté des poupées Barbie a suscité un intérêt surdimensionné. Comment faire d'un symbole des stéréotypes féminin le porte-étendard d'un message militant moderne, tel qu'on l'aperçoit déjà dans ses deux précédents long-métrages ? La question ne manque pas d'intriguer, et à juste titre. La problématique avait déjà été soulevée par le remake de She-Ra façon Netflix, qui faisait le pari de revisiter les codes du jouet pour filles dans une épopée ouvertement féministe. Dans le cas de Barbie, la situation est plus complexe étant donné l'absence d'un univers préalable à adapter.
Le script du duo Gerwig - Baumbach fait alors son choix le plus audacieux : celui de mettre en scène Barbieland, un monde intégralement constitué des jouets de la marque, comme une dimension parallèle au "vrai monde", plus ou moins semblable au notre. Les premiers instants du film sont ainsi consacrées à l'exposition de cet univers présenté comme idyllique et résolvant tous les problèmes soulevés par les mouvements féministes. On découvre alors la plus grande réussite du film : sa capacité à critiquer ouvertement sa propre maison-mère Mattel avec un cynisme bienvenu. Cette critique ne s'atténue pas au fil de l'histoire, où l'on portraie notamment le bureau exécutif de la marque par un groupe d'hommes blancs tous tellement similaires et interchangeables que l'on se réfère à l'un d'entre eux par un numéro, à la Austin Powers.
Le film enrobe l'univers des poupées par des décors plastiques aux couleurs flashies, dont l'artificialité est exacerbée par le côté cartoon de la mise en scène, y compris dans ses effets visuels. Un cadre bien trouvé pour un monde qui doit d'une part rappeler l'esthétique hyper féminine et stéréotypée de Mattel, et d'autre part souligner son surréalisme pour mieux le déconstruire. Greta Gerwig se sert alors de la rupture de cette naïveté (les pieds de Barbie deviennent plats, son faux toast est cramé et son œuf en plastique raté) pour amorcer le cœur de son récit, celui du contraste avec la réalité.
Sur le papier, faire de l'escapade de Barbie dans le monde réel est un procédé prometteur. Par comparaison avec Barbieland, on soulève les absurdités de la société patriarcale, qui paraissent naturels à nos yeux mais impensables à ceux de la poupée. L'idée est initialement efficace, servant de base à un humour majoritairement réussi, tournant en dérision les traits les plus évidents du patriarcat. On regrette alors que tout ceci ne reste qu'une critique de surface. La majorité du film développe des lieux communs insuffisants à rendre son propos vraiment intéressant, tournant en rond autour de la question de la domination masculine. Reste alors à aborder la question de la place de la femme dans ce monde, des injonctions contradictoires qui lui sont faites, des pressions sociales qui pèsent sur leurs épaules : tout ceci ne sera traité que dans un dernier acte très brouillon, laissant de côté les idées précédemment développées au profit de séquences bien trop bavardes. Le choix de la poupée Barbie comme véhicule d'un message féministe est sous-exploité dans les dernières séquences qui y privilégient hélas une énonciation verbeuse finalement peu originale au vu du reste du long-métrage.
Reste un objet sympathique et singulier au goût d'inachevé. Un OVNI de pop culture (à laquelle il fait d'innombrables références, de Matrix à Zack Snyder's Justice League) effleurant les enjeux féministes sans réellement y apporter l'originalité qu'on aurait tant désiré.