S'agirait d'avoir honte, à la fin. Ce second degré permanent, qui préempte chaque scène de sa complicité avec les nigauds, écarte l'éventualité même de toute connivence : il faudra un jour haïr efficacement cette self-awareness qui n'a pour unique conséquence que celle de faire éclater de rire les deux-trois connards bruyants du fond de la salle – oui, au vingt et unième siècle, briser pour la blague le quatrième mur, ce n'est qu'enfoncer des portes ouvertes, et amen aux métaphores cohérentes.
Barbie n'est pas drôle, hormis en de rares occasions équines – comprendra qui voudra.
Barbie enlise de fausses postures relevant de la contorsion idéologique, emmerde de convenance futile. Il faut sincèrement s'être vu avili par la pub au point d'en pâtir vidé de tout jugement pour oser affirmer de ce film qu'il prend position ailleurs que sous la botte des dirigeants de Mattel; en définitive, il faut être mou, mou de colonne, mou de caboche, mou de désir, repu comme un pourceau, blafard dans ses requêtes esthétiques, pour accoler à ce cloaque l'adjectif « féministe ».
D'aucuns râlent : Une purge. Nous rallions : Une pub, nuance.
En fait de marde, Gerwig défèque bien, quoiqu'elle nous avait habitués à plus propre : ses précédentes fèces, elle chérissait l'honneur de les brandir sur un plateau d'argent, en grande pompe, avec le sérieux du libéralisme de fourrière à la sauce Emma Watson. C'étaient là de longues crottes, un brin étirées par bouts, mais qui sentaient fort le sûri de cette petite-bourgeoisie spectaculaire bradant peu à peu ses restes d'indépendance au profit d'un siège plus confortable aux W.C. du tout-Hollywood. Nous le sentions : cela fouetterait pour de bon.
Or là où Little Women et Lady Bird consistaient un agglomérat inégal et pourtant corsé de fourniments excrémentiels, Barbie lâche lousse : la marde est grasse, que dis-je! purulente, comme si l'anus gagnait enfin le rang de pustule, comme si le fécalome se rosissait par le cumul des sangs stagnés – ai-je droit d'écrire de pareilles insanités sur cette plateforme, diantre?
Tout pète, à dire vrai – au sens propre comme au figuré. Le spectateur, aux premières loges d'un larguage aux amers parmi les plus sonores, se repaît de sidération devant la médiocrité de tels procédés : en ce qui concerne la fermeté des personnages féminins, réduits à leur fonction de caution progressiste, aucun salut scénaristique à l'horizon. Pour Mattel, les femmes ne sont plus des poupées : certes, elles ont atteint le statut d'automates, aux propos calibrés, verrouillés.
(Film-à-thèse, Barbie réjouira les plus idiots d'entre nous en une scène de discours à saveur girlboss. Chiche! Il convient de démontrer à l'assistance que les filles, c'est noïce, vraiment fort, bravo gurlz, t'es belle, bonne, capable – achète maintenant mon hostie de jouet, nunuche.)
Cela s'appelle mépris. Mattel, les caressant à toute force, méprise les filles – mais cela n'a rien d'étonnant. Ce qui épate, au demeurant, c'est que Gerwig se jette à pieds joints dans la mouise. Cela s'appelle vacuité.
Vacuité, car Gerwig est une cinéaste creuse – au sens où elle possède toutes les prérogatives formelles pour se tailler une place à l'avant-garde du mainstream. Son œuvre m'apparaît traversée de brillance, de coups d'éclat, d'honnêteté dans l'approche, mais à la différence d'une
Reichardt, pour prendre une réal américaine contemporaine, elle pèche par manque de direction pragmatique. Évidemment que l'injection d'un féminisme désamorcé au préalable, pop à souhait, au sein de l'institution que représente Barbie s'avérerait une tâche irréalisable – et les tâches irréalisables, souvent, sont belles pour leur justesse. Pas ici. Quitte à détourner le mot de Rancière, le cinéma socialement engagé reviendrait à « une pratique de justesse au service d'une politique de justice » : le cinéma engagé commercialement, lui, demeure une pratique de fausseté au service d'une politique d'injustice.