A l’instar d’un film comme Joker dont l’auteur entend profiter de la notoriété d’un personnage iconique de comics pour en faire un « film fort » avec un message de société, le projet glamourissime de Barbie semble être un prétexte de la part de Greta Gerwig pour signer une œuvre engagée à caractère féministe. Pourquoi pas. Dans l’enfer hollywoodien de ces dix dernières années où on ne sait plus que recycler des franchises à bout de souffle et/ou répondre à une demande algorithmique, cette forme de cinéma politique en trompe-l’œil est un moyen douteux (peut-être perçu comme condescendant) pour parvenir à une fin noble. Malgré le potentiel casse-gueule du chantier, on perçoit – il est vrai – au milieu des dégueulasseries ambiantes quelques bonnes surprises from Warner, Universal, Paramount et autres filiales-vitrines de ces grands groupes industriels assoiffés d’actionnaires.
La promesse du film se tient bien dans les 30 premières minutes, où Margot Robbie en personnage vedette d’un Truman Show féminin en fait des caisses et accueille comme il se doit le public dans son univers difficile à avaler bien que tout de rose vêtu. Même si on a du mal à visualiser l’ensemble de ce monde parallèle, on en identifie parfaitement la signification et le degré. Les quelques premières scènes avec Ryan Gosling paraissent faibles et on met un peu de temps à comprendre son rôle et ses enjeux (juste Ken, quoique… lui-même n’est pas très sûr). Malgré cela, les scènes s’enchainent à un rythme efficace et cohérent. On apprécie particulièrement la symbiose entre narration et message politique en ce début de film : la très bonne idée des pieds plats et du cauchemar de la cellulite notamment.
C’est lorsque les personnages sortent de leur bulle et rejoignent le monde réel que l’on commence à comprendre une des motivations du film et surtout la pertinence d’un film féministe sur Barbie, ce qui jusqu’à lors demeurait un parfait mystère pour moi. Le monde réel, enfin arpenté par Barbie et Ken, nous est présenté cinématographiquement comme un nouvel univers avec ses propres règles, qui nous sont données comme si nous en étions étrangers : encore un très bon point et d’ailleurs parmi les grandes idées féministes d’aujourd’hui, notamment cette vérité enfin avouée collectivement d’une misogynie passive et ambiante. « Ici aussi je me sens regardée, mais ce ne sont pas des ondes positives que je perçois ». Le potentiel de Ryan Gosling est davantage exploré et c’est savoureux : le crétin heureux de voir les règles s’inverser, tout son délire avec les chevaux est très drôle.
On arrive alors très vite au tournant principal du film qui selon moi l’anéanti immédiatement : Mattel. Dès l’introduction tout en second degré de la vraie entreprise fabriquant les jouets Barbie (entre autres… parce qu’on n’est pas à l’abri d’un Mattel Cinematic Universe), on bascule dans autre chose, comme si le film passait sous un autre contrôle. Will Ferrell a beau être hilarant, difficile de détacher le scénario de toute idée de publicité déguisée pour la firme. Ça ne commence pas forcément mal, l’auto-dérision de l’entreprise représentée ici par des fameux « mecs en costard dans des bureaux » fonctionne plutôt bien, reste cohérente avec le message d’ensemble et offre quelques bonnes vannes, même s’il ne s’agit que d’une personnification de n’importe quelle grande entreprise américaine en usant de clichés non-identifiés, histoire de ne froisser personne. Une auto-dérision qui trouve une limite frappante dès lors qu’est introduite la créatrice originale de Barbie. C’est tout une réécriture de l’histoire du jouet qui est à l’œuvre, déclinant toute responsabilité dans sa grande participation à la standardisation du physique féminin au fil des années, prônant toujours l’inclusivité et l’empowerment. On ne peut pas prêter automatiquement de mauvaises intentions aux tendances récentes de la firme à proposer des poupées inclusives et éloignées des stéréotypes, à condition de ne pas nous faire croire qu’il s’en est toujours agit de la volonté première de l’entreprise. Tout dans ce personnage pseudo-Oracle sonne faux, déjà dans le jeu catastrophique de la comédienne, puis dans les répliques qui sont en fait des discours, jusqu’aux flash-backs sur sa vie dont on se fout éperdument, de fait, c’est un faux personnage.
Ce qui ne va pas aider cette deuxième moitié de film est le manque soudain d’inspiration pour la revanche des Barbie sur les Ken. La cohérence du tout s’effondre pour laisser place à des scénettes, quelques sketchs peu originaux, sorte de mèmes sortis d'Insta ou Twitter convenus d’avance, bien moins subtils et par conséquent fonctionnels et ennuyants. Le discours n’en devient que plus lourdingue, et le film vole en éclat. Contraintes de studio, possiblement, en tout cas difficile d’imaginer que c’est la fin qu’avait en tête la réalisatrice. Dommage de rester sur la lourdeur et le côté presque sentencieux du dernier quart d’heure. Les deux personnages issues du monde réel, pourtant centrales dans le scénario car ce sont elles qui motivent tout le film, se retrouvent reléguées à des rôles de pure fonction et n’intéressent quasiment jamais le film. On termine sur une blague qui tombe à plat et un générique affreux. Dommage d’en rester là.
PS : à noter une introduction des plus sympathiques en hommage à 2001 : L’Odyssée de l’espace. On ne sait pas vraiment ce que ça vient foutre là mais c’est très drôle, à moins d’avoir bien la ref en tête… ce qui n’est pas forcément le cas du public visé (mince, je crois que c’est moi qui est condescendant en fait).