Critique rédigée en décembre 2017
Je ne vais pas répéter ce qui a déjà été maintes fois sur le cinéma de Kubrick ; or suite à de nombreuses (re)visionnages de ses films, j'ai constaté que son cinéma était la parfaite définition du mot Voyage. Comme pour beaucoup de monde, il fait partie de ceux qui m'ont longtemps accompagné et qui m'accompagnent encore pendant ma jeunesse, avec Lars von Trier, Jacques Demy ou encore Michael Haneke.
Et s'il y a bien une chose que je n'ai pas remarqué au premier abord, c'est combien ses films sont variés, aussi bien dans le cadre spatio-temporel présenté que dans les thèmes traités.
Après s'être attaqué à l'histoire de Spartacus (1960) en Italie avec Kirk Douglas, traité de la Guerre Froide avec humour dans Dr. Folamour (1964) avec Peter Sellers dans un triple rôle, mitigé le public avec 2001 l'odyssée de l'espace à sa sortie en 1968 (adapté en partie du roman d'Arthur C. Clark) et scandalisé la société contemporaine avec Orange mécanique (1971) adapté du roman éponyme d'Anthony Burgess dans lequel est présenté à Malcolm McDowell en sociopathe antipathique, sadique et pourtant très attachant ; le grand K adapte le roman partiellement autobiographique de William M. Thackeray : Mémoires de Barry Lyndon.
Sorti en 1976, Barry Lyndon prend place au XVIIIème siècle, en Irlande. Elevé seul par sa mère depuis la mort de son père, Redmond Barry (Ryan O'Neal), jeune homme pauvre, projette l'idée de grimper les échelons de la société anglaise et de se retrouver dans les plus hautes classes sociales du pays. Après avoir tué en duel un riche capitaine séduisant sa cousine, Barry est exilé et s'engage à la guerre de 7 ans (1756-1763), en se retrouvant au service du roi Prussien. Puis, de fil en aiguille, il va se retrouver au plus haut rang social aux côtés de la comtesse de Lyndon (Marisa Berenson), avec laquelle il se marie. Or, cette ascension d'abord réussie va petit à petit se transformer en un chaos infernal.
Voilà pour le pitch, sans dévoiler la partie centrale de l'histoire.
Un nouveau voyage cette fois-ci dans les années 1750, l'époque durant laquelle les Lumières illuminaient en Europe comme ailleurs,
donc à des années lumières des univers dystopiques de 2001 et d'Orange mécanique. Qu'en pense-je au final?
Du grand art !
Jamais un Kubrick n'a été aussi beau depuis 2001, 7 ans plus tôt. De la manière des plus grands réalisateurs historiques (Cecil B. DeMille, David Lean, Franco Zeffirelli, Richard Fleischer), Kubrick nous fait faire un bond de trois siècles en arrière, à l'époque des perruques, de la musique baroque et des carrosses. Les décors et la musique (Bach, Schubert ou encore Haendel pour le thème principal) créent une véritable ambiance "à l'ancienne", et montre aussi combien il a de goût pour la musique classique, depuis Strauss et Beethoven dans ses deux précédents films.
Les costumes sont très bien adaptés au support et restent inoubliables malgré le fait qu'il traite d'une partie assez sombre de l'histoire, à savoir environ deux siècles avant les premiers progrès techniques et l'augmentation de l'espérance de vie.
Pour en revenir aux Lumières, j'ai trouvé que le film illustrait parfaitement bien (et peut-être sans le savoir?) l'idée du mouvement artistique principalement composé d'Isaac Newton, Voltaire, Montesquieu ou encore J-J Rousseau, par le biais du personnage de Barry Lyndon,
au début gentilhomme pour devenir comte orgueilleux et finir estropié et seul.
C'est un film qui s'adresse donc beaucoup aux spectateurs à la manière d'une mise en garde des vestiges de la gloire et en y exposant la face noire de celle-ci, amenant l'Homme à se comporter de manière orgueilleuse, anticonformiste, innattentionnée, etc. tout ceci accompagné des mauvaises passions de l'Homme telles que l'ambition et la gloire, rejointe par la fortune. Il est de même pour d'autres personnages notamment
Brian, le jeune fils de Barry et de la comtesse qui désobéit à ses derniers le jour de son anniversaire, symbolisant l'impatience, et un peu plus tard la comtesse Lyndon qui, désespérée par la mort de son fils, tente de se suicider en avalant des médicaments.
Puis, de manière un peu plus abstraite, la structure de l'histoire est globalement conforme à celle d'une pièce tragique: tout comme une tragédie, le film met en scène des personnages de haute classe sociale, ne comporte aucune trace d'humour contrairement à Orange mécanique ou Full Metal Jacket (1987) ; le film se termine par
la mort d'un des personnages, à savoir, ici, le jeune Brian ;
de même le film a la durée d'une pièce de théâtre (2h54 sans compter les crédits), ce qui peut paraître un peu long. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, avec un scénario pareil, il était impossible de réaliser un métrage en dessous des deux heures. Par ailleurs, malgré la longueur de certains passages et le fait qu'il ne s'y passe pas toujours énormément de choses, on prête tellement attention à l'esthétique et aux gestes des personnages qu'on ne se surprend que rarement à regarder ailleurs que l'écran.
Enfin, petit retour sur le casting: Ryan O'Neal (Love Story, 1970) a trouvé avec le personnage de Redmound Barry le rôle qui encore aujourd'hui lui colle à la peau (la preuve, il n'a joué aucun autre rôle remarquable par la suite), Marisa Berenson, interprète de la comtesse Lyndon n'est pas le rôle le plus marquant du film mais garde une place essentielle (à noter qu'elle jouera en 2005 dans la comédie Appelez-moi Kubrick) ; puis je retiendrai également Patrick Magee (Orange mécanique, Les Chariots de feu) dans le rôle du chevalier de Balibari, clairement pas LE personnage du film, mais ça m'a fait plaisir de retrouver le fameux écrivain veuf Mr. Alexander d'Orange Mécanique dans un dernier film.
Pour conclure, Barry Lyndon est un très beau drame historique, très marqué par un visuel alléchant, une bande-son de qualité et une seconde partie particulièrement passionnante. Quelques longueurs par-ci par-là font qu'il n'est pour moi pas le plus grand film du grand Stan, mais il reste un film indéniablement essentiel qui n'a pas pris de rides.