Etonnement depuis que j'ai rejoins ce groupe, il y a un film dont je n'ai pas encore parlé, à peine ai-je pu l'évoquer au détour d'un commentaire ou d'un classement, mais jamais encore je n'en ai parlé précisément. Or ce film demeure à ce jour mon film préféré de tous les temps et je doute que son statut soit à la veille de changer.

Ce film c'est Barry Lyndon.

Et pour vous en parler et tenter de vous faire appréhender ce qu'il représente pour moi, je vais en parler non pas de façon objective en soulignant tel ou tel aspect formel, mais de façon totalement subjective, personnelle, intime.

Barry Lyndon.

Réalisateur : Stanley KUBRICK.

Date de sortie en France : 8 septembre 1976

Acteurs principaux : Ryan O'Neal ; Marisa Berenson ; Patrick Magee ; Hardy Kruger ; Steven Berkoff ; Gay Hamilton ; Marie Kean ; Diana Körner ; Murray Melvin.

Résumé : En Prusse, au début de la guerre de Sept Ans, un voyou irlandais conquiert le cœur d'une riche veuve et assume la position de son mari mort.

Syndrome de Stendhal. Je pourrais résumer ma passion envers ce film en évoquant ce trouble psychosomatique qui veut que l'on soit pris de vertiges et submergés d'émotions face à certaines œuvres d'art et de conclure en disant de façon laconique : "C'est le meilleur film de tous les temps !"

Mais je vais plutôt tenter de développer une pensée que je revendique entièrement construite sur mon ressenti le plus intime.

Barry Lyndon illustre de façon magistrale l'un des aspects, à mon sens les plus passionnants à théoriser et sans doute le plus mal compris ou mal interprété, sa propension à questionner notre sens moral et à en ébranler les limites. J'entend par là, qu'on est tous mû par des convictions, une part que je ne crois pas négligeable de déterminisme social, notre éducation, le milieu où nous évoluons, nos rapports humains, mais aussi par une boussole interne, presque inconsciente ou sinon très instinctive du bien et du mal. Je ne parle pas de ces notions d'un point de vue religieux, ni d'un point de vue légal, je ne crois pas en la nécessité d'un dogme ou d'une loi pour les distinguer et m'y conformer. Ainsi l'art en général et le cinéma en particulier, mais aussi la littérature, sont des lieux où peuvent nous être dépeints des êtres dont les agissements, les paroles, les motivations vont à l'encontre des barrières morales qui sont les nôtres et cela ne pose pas de problème en soi.

Kubrick fait indéniablement partie du cercle des cinéastes dont la stature et la réputation peut effrayer le commun des spectateurs ou pour être plus juste, le spectateur débutant. Il fait également partie de ces figures de commandeurs qu'il est impossible de critiquer ou sur qui émettre la moindre réserve sans se voir accueilli par une cohorte de réponses condescendantes, offusquées et parfois même agressives. Une récente publication où je disais juste que "Shining" est son film qui m'inspire le moins - aucun début de la moindre critique, nulle présence de l'idée que le film serait mauvais - juste le film de Kubrick que j'aime le moins, me l'a encore démontrée. Qu'importe dès lors que ce cinéaste continue de me passionner à plein d'égards, qu'importe que mon film préféré soit un Kubrick, j'avais osé nuancer le maître, l'hallali était sonnée, mise à l'index, excommunication de la chapelle cinéphile.

Ce n'est cependant pas avec ce film que je fus introduit au cinéma de Kubrick. Pour cela il nous faut faire un petit saut dans le temps, 1987 pour être exact. Nous sommes à Pau petite ville de province qui comme toutes a ses qualités et ses défauts, où longtemps un cinéma qui hélas n'existe plus que dans les souvenirs des plus de 40 ans qui l'ont connu offrait grâce à ses 7 écrans une programmation très riche et variée. A cette époque à la fois si proche et si lointaine, j'avais pris l'habitude chaque mercredi de retrouver ma bande de copains d'école devant le Saint Louis, qui éait tu l'auras compris le nom de ce cinéma. De cette époque bénie et de cette tradition je garde le souvenir de nombreux films vus avec mes potes, nous avions entre 10 et 12 ans et sans que je sache bien si nos parents étaient laxistes ou inconscients, sans que je sache bien si les caissières qui ensuite nous vendaient chocolats glacés et popcorns durant les publicités, n'en avaient cure ou ne réalisaient pas à qui elles avaient à faire, nous avons pu y voir quantité de films pourtant déconseillés, voire interdits à notre tranche d'âge.

Un de ces fameux mercredi, nous sommes donc devant les différentes affiches et, bande de petits gars oblige, notre choix se porte sur "Full Metal Jacket" dont nous sortons abasourdis, évidemment alors aucun de nous n'était en mesure d'intellectualiser le film et d'appréhender précisément son message, pour nous c'était un putain de film de guerre ! Or à l'occasion de cette projection, durant les traditionnelles bande-annonce, on nous dit que le mercredi suivant un film titré "Orange mécanique" sera proposé, je me souviens que les extraits nous avaient décidé comme un seul homme, le programme ciné de la semaine suivante était fait. Ma mère m'avait alors prévenu que c'était un film dur et violent mais malgré tout un film important. Dur et violent ? Ok maman, t'es gentille, on a dix ans, on est des bonhommes !

Voici donc mes portes d'entrée au cinéma de Kubrick, j'étais alors loin des considérations des adultes, à me demander quel film de sa filmographie méritait le plus d'éloges, quels thèmes il abordait, ses petits tics de réalisation, à dire vrai en écrivant ces lignes, je me demande même si alors j'avais fait le lien et si le nom de Kubrick commençait à résonner en moi.

Barry Lyndon, fut pour le coup une découverte télévisuelle, un poil plus tardive mais j'étais encore assez jeune, environs 13 ans, et alors la télévision familiale était l'unique écran disponible, pas d'ordinateurs ou en tout cas pas assez puissants pour envisager y regarder un film, pas d'Internet et papa ou maman étaient prioritaires sur le choix du programme, si ça ne convenait pas à mes petites sœurs et moi, notre chambre était ouverte. Je fus littéralement sidéré par le film.

Je ne vais pas développer ici tout ce qui a été dit et redit à propos de la prouesse technique qu'il a été, tout en lumières naturelles, avec les pellicules et les objectifs spécialement développés pour la NASA, à 13 ans je m'en foutais, et même aujourd'hui si je salue la chose, ce n'est pas ça à proprement parlé qui m'a stupéfait, ou si mais c'est d'avantage le résultat à l'écran que la méthode. Comme le tour d'un magicien qui perd toute son incandescence lorsque le truc est dévoilé. Cette première fois où j'ai vu le film, je suis passé à côté d'une bonne partie de l'intrigue, je me suis même ennuyé et je n'explique pas que malgré tout j'ai voulu aller au bout. Je suis certain en revanche que ce film est immédiatement entré en moi, comme s'il faisait partie de moi, comme une rencontre inopinée qui conduit à emprunter des chemins de vie auxquels on n'avait pas osé prétendre jusque là.

Cela peut sonner étrange, mais je peux dire sans l'ombre d'une hésitation que je suis tombé amoureux de ce film. Comme la première fois où cet être unique est entré dans ton champ de vision et que le monde autour a cessé d'être, où tu ne vois que sa fulgurante beauté et le temps suspendu. C'est ensuite en le revoyant une deuxième fois, bien des années plus tard, puis en multipliant les visionnages, à ce jour c'est le film que j'ai le plus revu, au moins une fois par an minimum, que j'ai poussé mon analyse et ma réception vers des développements plus formels, que je me suis intéressé à l'histoire, que j'ai commencé à élaborer des théories sur le sens profond de tout ça, que je me suis intéressé au contexte historique où l'intrigue se déroule, bref que j'ai construit un avis tout aussi enthousiaste mais plus intellectualisé, mais voilà bien un film que j'ai d'abord reçu de façon presque animale, sensorielle, émotive et qui depuis ne cesse de m'habiter, de me hanter même.

Sans que je ne puisse l'expliquer de façon rationnelle, j'ai fait de ce film un prolongement de mon être, et si depuis j'ai vu beaucoup de films qu'on peut objectivement considérer comme meilleurs - bien qu'il reste un des plus grands films de l'histoire - aucun n'a eu ce pouvoir presque de l'ordre du surnaturel d'autant me captiver, d'autant annihiler toute objectivité. Je vous souhaite sincèrement, si ce n'est pas déjà le cas, d'un jour tomber sur ce film qui vous désarmeras et devant lequel vous parlerez aussi d'un sentiment fort comme l'amour.

Le plus paradoxal étant qu'au final l'histoire de ce Barry Lyndon qui pourrait se résumer en l'ascension et la chute d'un minable petit arriviste, dépeint le portrait d'un être méprisable, amoral, antipathique, veule, insignifiant et avec qui il est difficile, humainement, de rentrer en empathie. Odieux avec les femmes, lâche, malin mais pas intelligent, alternant selon les circonstances attitudes mielleuses ou fielleuses toujours dans son intérêt égoïste et définitivement ambitieuse.

Je vais sûrement voir et revoir ce film encore un nombre indéfini de fois, j'ai beau le connaître intégralement, chaque plan, chaque intrigue, je sais que je vais à chaque fois le recevoir comme un don intime, me sentir impuissant et inapte à une analyse plus précise et savourer cette œuvre magistrale.

Merci de m'avoir lu et pardon d'avoir étalé de façon impudique une partie de moi.

Ma note ? Ben 11/10 évidemment !

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le 5 avr. 2024

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