Eclairage urbain
Ladj Ly savait pertinemment que son après "Misérables" allait être scruté de très près. Le réalisateur, tout en se renouvelant, reste fidèle à son cinéma engagé et politique axant son film autour de...
le 6 oct. 2023
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Difficile de ne pas faire le rapprochement.
Impossible même.
Sitôt me suis-je retrouvé, au hasard des bandes-annonces, devant les premières images de ce Bâtiment 5 que la connexion s’est tout de suite faite dans mon esprit.
Je ne savais pas que Ladj Ly sortait un nouveau film, mais cette manière de filmer les quartiers populaires résonnait clairement comme les Misérables, son dernier film sorti en 2019.
L’apparition du nom de l’ancien du Kourtrajmé n’eut dès lors rien de surprenant. Par contre, je l’avoue, de cette évidence est tout de suite née une inquiétude. N’était-ce pas là un mauvais signal que le nouveau film d’un auteur rappelle à ce point l’ancien ?
L’impression de déjà-vu se fait rarement au service d’une œuvre, surtout quand celle-ci se veut coup de poing.
Mais tout cela était-il vraiment subi, et se faisant au détriment de l’auteur ?
A dire vrai, au sortir de cette bande-annonce, je n’en étais plus si convaincu que ça. C’était même tout l’inverse. Non seulement la filiation entre les deux œuvres paraissait pleinement assumée, mais en plus de ça, cette filiation offrait la possibilité d’une belle promesse.
Parce que, l’air de rien, en annonçant que, dans ce film, les crispations entre populations et institutions allaient se jouer sur le terrain électoral, Bâtiment 5 semblait se poser comme une continuation directe des Misérables. Une sorte de « et après la colère, quoi ? »
Or, le simple fait qu’on puisse retrouver à la distribution quelques noms qui avaient déjà su briller en 2019 dans le premier film de Ly permettait de donner du poids à cette possibilité.
Seulement voilà, une fois devant le film, la réalité douche quand même bien vite les espoirs.
Déjà c’est le ton qui, d’emblée, jure un peu.
Alors que les Misérables s’ouvraient sur une multitude de quotidiens célébrant cette vie qui parvenait à subsister malgré l’incongruité de l’endroit – et cela avec une diversité de point de vue fort louable – Bâtiment 5 préfère jouer d’une carte beaucoup plus misérabiliste (sans mauvais jeu de mot) en amorçant immédiatement sur une scène d’enterrement.
Pourtant c’est vrai que cette scène de larmes n’est pas pour autant dénuée d’intérêt ni de subtilité, puisque Ladj Ly ne commet pas ici l’erreur d’ouvrir son film sur la mort injuste et cruelle d’une jeune âme innocente qui aurait justifié que, juste dans la foulée, s’allume la mèche de la colère populaire.
Non, à la place c’est une vieille mamie qu’on enterre, rendant cette mort décorrélée de tout sentiment d’injustice sociale. Par contre, sitôt s’agit-il de descendre le cercueil par la cage d’escalier que, progressivement, tout le caractère solennel de l’évènement se retrouve grippé. Et, sincèrement, cette scène j’aurais vraiment pu la trouver très habile en termes d’ouverture si seulement elle s’était contentée de montrer sans commenter.
Parce qu’elle va se trouver là, cette note de ton qui jure : pendant toute la descente du cercueil, la mère de l’héroïne (et fille de la défunte) ne va pas cesser de surligner par ses propos larmoyants ce qu’on avait pourtant déjà compris.
« Ah ! Et cet ascenseur qui est encore en panne alors que cela fait des mois que je l’ai signalé à la copropriété ! »
« Qu’il est indigne d’avoir à subir cela, même après la mort ! »
« Comme quoi il aura fallu qu’elle ait une vie agitée, jusqu’à la tombe ! »
Et au bout de ce long périple on te rajoute une petite musique qui joue un brin trop de la sensiblerie bon-marché. Puis – BAM ! – « Bâtiment 5. Un film de Ladj Ly ».
Autant dire que cette intro n’augure rien de bon. Et malheureusement à raison…
Car oui, ce côté surligné et surfait, c’est vraiment l’immense boulet que ce film va trainer sur tout son long, et cela sans jamais vraiment s’en séparer.
Ce sont d’abord des personnages qu’on expose à chaque fois par des conversations très didactiques. Difficile à partir de là de pas chercher à coller des étiquettes simplistes sur chacun d’entre eux ; et malheureusement difficile aussi par la suite de ne pas considérer ces étiquettes comme impertinentes.
Parce que bon, du début jusqu’à la fin, Haby sera bien la Mary Sue de service. Blaz, par contre, sera l’archétype du bon gars qui se perd dans une spirale de colère. Forges ne cessera jamais quant-à-lui d’être l’élu soc’dem qui se laissera de plus en plus bouffer par sa panique bourgeoise. Et enfin, pour ce qui est de Roche, il passera son temps à incarner la traître à sa propre classe, tout en restant enfermé dans le stéréotype du « nègre de maison ».
Malheureusement, tout cet aspect très démonstratif se retrouve aussi dans les situations offertes par l’intrigue. Rien ne fait jamais vraiment illusion. C’est comme si, pour chaque scène, on voyait les intentions discursives de l’auteur apparaitre en sous-titres.
Au final, les moments qui sonnent vrais sont rares. Et c’est dommage parce qu’en ce qui me concerne, ça s’est toujours joué à pas grand-chose.
Les acteurs restent bons et savent parfois apporter de la vie et de l’identité à leurs situations stéréotypées.
Le scénario s’efforce parfois de générer des quiproquos et parfois même de réelles ambiguïtés sur ce qui devrait ou pourrait être la solution politique à la ghettoïsation dans les quartiers… Mais c’est insuffisant. L’équilibrage n’est pas convenablement ajusté, du moins pas aussi bien que cela pouvait être dans Les Misérables…
…Surtout qu’en plus de ça – comble du comble – la question électorale ne sera finalement même pas traitée en profondeur. Elle mettra beaucoup de temps à émerger au sein de l’intrigue et sera par la suite très vite reléguée en périphérie pour au final ne même pas être traitée jusqu’à son terme.
Au bout du compte, Bâtiment 5 n’aura donc pas su se poser comme un complément ou une suite des Misérables.
Non, en fait, à bien tout considérer, Bâtiment 5 n’est qu’une redite, posant le même constat et nous laissant avec le même genre de conclusion.
C’est juste plus grossier, moins subtil et – j’aurais envie de dire – beaucoup moins corrosif et courageux.
En fait, j’ai l’impression que ce qui différencie Bâtiment 5 et les Misérables ce ne sont ni le fond ni le discours, mais c’est plutôt le public visé.
Parce que, quoi qu’on en pense, les Misérables étaient quand même une œuvre autrement plus formaliste et testimoniale. Elle était avant tout une œuvre de cinéma s’adressant à des cinéphiles, et qu’importait alors si ce qu’elle montrait et racontait pouvait déranger ou – pour être plus précis – qu’importait si elle « choquait le bourgeois ».
…Or, c’est vrai que les Misérables, ça avait en partie choqué le bourgeois, quand bien même je trouvais déjà qu’à l’époque ce film avait su montrer patte blanche et faire pas mal d’efforts pour se rendre accessible à tout type de spectateur.
Seulement voilà, pour une certaine marge c’était encore trop.
Ça ne condamnait pas suffisamment. Ça cherchait à expliquer donc un peu à excuser…
…Et étonnamment j’ai l’impression que ce Bâtiment 5 est une concession faite à ce public-là.
Bâtiment 5 ressemble au fond à une version des Misérables qui s’adresserait davantage à des Pierre Forges et rien qu’à des Pierre Forges.
Pierre Forges, dans ce film, c’est n’est pas forcément un mauvais bougre.
Il est pédiatre. Il s’occupe des enfants. Il s’est engagé en politique avec l’idée de servir sa communauté. Mais il se trouve que Pierre Forges est un bourgeois et qu’il n’y connait rien aux conditions de vie des classes populaires… Il se trouve même qu’il n’y connaisse rien aux classes populaires tout court.
Pour lui, toutes ces personnes-là, ça reste quand même des étrangers potentiellement dangereux.
Ça te dégrade des trucs la nuit, si bien que tu ne te sens plus vraiment en sécurité, même sur les routes que tu empreintes en voiture le soir.
Ça se permet de ramasser des cousins, des oncles et des tantes d’Afrique pour ensuite les entasser dans des logements qui ne sont pas faits pour ça.
Et puis ça se permet de débarquer dans ton espace à toi sans que tu n’aies rien demandé. Sous prétexte que tu es maire, tu ne peux plus marcher dans la rue sans te faire sauter dessus pour des démarches administratives alors qu’il y a des endroits et des moments pour ça.
Pierre Forges ne sait pas ce que c’est que la galère des démarches administratives, des vendeurs de sommeil ou bien encore des ascenseurs qui tombent en panne.
Pierre Forges il vit dans sa bulle, sa bulle lui va très bien, et tout ce qu’il attend, lui, c’est que chacun reste à sa place et cohabite en bons voisins.
Du coup, pour s’adresser à Pierre Forges, il faut parfois un peu forcer le trait. Il faut lui montrer à quel point les prolos sont tous gentils et mignons mais tout en éludant pas non plus les écarts qui peuvent être commis par certains.
De la même manière, il faut montrer à Pierre Forges que les prolos ne cherchent pas forcément à planter sa tête au bout d’une pique. C’est juste que les gens sont excédés et qu’à un moment donné ça pourrait déraper…
Dit autrement, je pense que le vrai problème de ce Bâtiment 5 c’est que le message l’a emporté sur la démarche, et que l’objectif politique l’a emporté sur l’objectif artistique.
C’est dommage et c’est triste, parce que Ladj Ly a su montrer au travers de son précédent film qu’il était bien plus qu’un porte-parole. Ladj Ly est aussi un conteur. Un formaliste. Un artiste.
En espérant que pour son troisième longtrajmé, il saura s’en souvenir…
Créée
le 12 déc. 2023
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