Il est des films qui vous marquent, qui rédigent les lignes de votre vie en imprégnant votre enfance d'une longue trainée de poudre artistique. Ces films ci, dieu seul sait que vous ne les oublierez jamais; vous pourrez tomber dans un coma de deux ans, connaître l'amnésie des perdus de la vie, goûter à la saveur répugnante d'Alzheimer qu'ils auront toujours cette importance si plaisante dans votre coeur, cette prédominance dans vos goûts d'adulte comme d'adolescent. Ces films ci font partie d'un cercle restreint, duquel nul n'échappe s'il en porte les capacités : celui de vos films préférés.
Le premier Batman de Tim Burton est un film qui m'a fait, qui a construit ma personnalité, mes goûts pour le gothique et le Batman, mon envie d'écrire des textes matures, monstrueux. Fable fantasmagorique, conte enfantin noirci par la sombreur d'êtres démoniaques, le film pose les bases d'un univers plein de pourriture humaine visqueuse, dégoulinante du ciel jusqu'au bitume, qui contamine tout ce qu'elle touche, du pauvre gosse passant une soirée rêvée avec ses parents joyeux au plus misérable des petits malfrats de quartier.
Car Batman, c'est un peu ce qu'aurait du donner le mythe de l'homme chauve souris s'il avait pu vivre à nos côtés; au final, il n'est plus qu'un sérieux taré passant ses nuits habillé en homme chauve-souris, occupant ses journées à se déguiser en simple homme, chose qu'il n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais. Car la mort de ses parents a fait bien plus que de le changer en schizophrène combattant le crime organisé comme anarchiste; elle lui a coupé tout repère, l'a rendu autre qu'homme. Elle l'a aliéné.
Wayne n'est plus Bruce, il est Batman, et c'est donc en tant que Batman qu'il passe ses journées, muré dans une caverne sombre, humide, pleine d'autres créatures de la nuit qu'il semble mieux comprendre que la race humaine. Terré dans son antre, le Bat de Gotham attend que quelqu'un vienne le sortir de sa solitude de bête, de sa solitude de monstre.
C'est à Kim Basinger qu'incombe la tâche de le rendre un poil plus humain, un poil moins fou. Sauf qu'elle n'y parvient pas. Car le Batman de Burton et Keaton n'est rien d'autre qu'une pauvre âme perdue dans un monde de fous, dans un monde où l'humour le plus basique, où le comique le plus niais et enfantin côtoie les décors les plus sombres, voit le jour au détour des allées les plus dépravées.
Et si notre jeune Bruce a vieilli ainsi, c'est surtout à cause d'une société qui s'enlise dans la saleté, la pornographie, qui se plaît dans la violence et l'exploitation des autres. Les mafieux tiennent la police, presque les médias; devant eux, quelques rares, trop rares hommes intègres. Au milieu, un Bat qui n'est plus humain, une créature qui se complet à jouer l'homme. Met avis que c'est vite fait pathétique.
Sauf qu'il en est un qui tire son épingle du jeu; Jack Napier, aka Jacques à dit que Nicole sonne, aka Jack n'a pied que dans l'eau. Pas tout à fait homme, pas tout à fait monstre non plus, il oscille constamment entre le comique de service et le flingueur de ses dames. C'est un peu le type bourré qui nique toutes les soirées, l'amateur de calembours qui ne font rire personne, mais qu'on aime quand même parce qu'il garde toujours le sourire, même quand sonne l'annonce du décès de sa tante Nicole.
Potache au point d'en devenir mortel, cet amateur de blagues, ce comique, ce Joker de l'extrême n'en finit plus de révéler la personnalité réelle du Batman, à grand coup d'on est pareil, de dizaines de "je t'ai fais", et d'une bonne flopée de "je t'aime, mon lapin". Amour fusionnel au point qu'il deviendra nocif pour les deux partis. Ce film, c'est exactement le scénar de Roméo & Juliette.
Et puis, t'as Tonton Burtonton qui vient diriger tout ce beau monde; le type termine de poser l'anormalité de son oeuvre, la rend encore plus barge, complètement cintrée. Car si ses personnages pètent tous les plombs, si tous sont de sérieux malades en manque de docteur, s'il manque la même case à son Batman qu'à son Joker, c'est qu'il voulait nous amener une nouvelle version du Batman, quelque chose de profondément différent. Pas forcément quelque chose de révolutionnaire ( encore que certains plans le sont largement ), non, c'est qu'il voulait surtout nous fournir une vraie bonne adaptation du mythe de Kane et Finger, pas l'autre comédie des années 66. Et le truc, c'est qu'il l'a réussi. Finger in the noise.