L'univers de Batman, depuis 1997, est un champ de ruines. Et comme pour les dégâts immenses consécutifs à la folie de la deuxième guerre mondiale, l'Allemagne en est à l'origine. L'histoire bégaie.
Après l'abus de néons multicolores, de costumes criards, de délires kitsch, de personnages SM light et de nivellement à destination des enfants, on imaginait mal le Caped Crusader s'en remettre. Pour preuve, les quelques projets envisagés, en forme de résurrection, retombent aussi vite qu'ils naissent dans les limbes des oeuvres avortées qui ne verront jamais le jour.
En avance sur son temps, Batman vs Superman s'enlise en 2002 sous la houlette de Wolfgang Petersen alors qu'il devait faire d'une pierre deux coups pour les deux icônes outragées de l'écurie DC. Il succédait à un fantasmatique Batman : Year One, avec Darren Aronofsky à la barre de l'entreprise, qui s'inscrivait entre Un Justicier dans la Ville et Taxi Driver, et Clint Eastwood devant la caméra. Encore une fois, le projet est enterré, jugé trop sombre, Batman n'étant, à l'époque, pas encore envisagé autrement qu'inscrit dans son ghetto kids friendly.
Autant dire que l'on n'y croyait finalement plus, et que l'on se préparait à identifier pour toujours Batman à la fulgurante vision baroque et freak de Tim Burton. Sauf que, tout au fond de son garage improvisé bureau dans une installation précaire, un petit réalisateur, jugé roublard surestimé et producteur de poudre aux yeux (merci Critikat), s'invite à la fête et s'empare du mythe en l'envisageant de manière plus réaliste et sombre. En compagnie de David S. Goyer, qui avait déjà fait la pluie (derrière la caméra) et le beau temps du côté de Blade, alors que Marvel n'envisageait pas encore un quelconque Cinematic Universe...
Batman Begins prospère donc à la fois sur les décombres d'une franchise détruite et sur les pistes qui avaient été évoquées afin de la ranimer : Christian Bale, le naturalisme, l'Epouvantail, autant d'éléments au coeur de cet extraordinaire Batman Begins qui, à première vue, frôlait pourtant le trop plein, entre trauma fondateur, récit initiatique tibétain, méchants multiples et sauvetage d'une Gotham City pourrie de l'intérieur et en proie à la gangrène de la corruption et du crime.
C'était sans compter avec l'adresse et les qualités d'écriture déployées par le tandem, qui a réussi à fournir un récit riche, sans temps mort, admirablement balancé entre chaque aspect du projet, tout en se nourrissant tant des peurs liées au terrorisme des années 2000 que de soixante-cinq années de mythologie comic book sans jamais la trahir. Même si Christopher Nolan ose une interprétation toute personnelle de l'apprentissage de son Bruce Wayne. Même s'il pousse certains méchants au second plan afin de leur conférer une aura de danger supplémentaire dans la menace qu'ils représentent.
Dans Batman Begins, Bruce Wayne apparaît comme un héros hanté par ses peurs et sa culpabilité, dont la trajectoire épousera celle d'un polar urbain aux enjeux multiples au coeur d'une Gotham City socialement brisée, terriblement noire et dont les quartiers les plus misérables prêtent refuge à l'organisation criminelle de Carmine Falcone, présentée comme la première némésis du Chevalier Noir et hors de portée d'un Gordon esseulé.
La ville imaginée par Tim Burton est ainsi bien loin : moins spectaculaire, moins graphique, mais elle n'en perd pas pour autant son ampleur, notamment quand elle est plongée dans les ténèbres et la folie de la dernière ligne droite du film, où quelques aspects fantastiques affleurent, comme ce fugitif renvoi au Man-Bat, ou encore à une case délocalisée d'Un Long Halloween.
Le final reflète la thématique principale de ce Batman Begins, où la peur de son héros résonne dans toute la ville qu'il s'est donné pour mission de protéger. Un héros envisagé comme sous son aspect dramatique, plongé dans un univers sombre qui fait tout le sel de ses racines comics. Batman Begins agite ses personnages, nouveaux venus comme alliés inoxydables et méchants classiques, sans jamais les perdre de vue dans leurs relations avec Bruce et le Chevalier Noir. Au point que le reste : costumes actualisés, batmobile résolument militaire et new look, séquences d'action presque toujours maîtrisées, musique aux accents funèbres, apparaissent à l'oeil du spectateur comme étant presque accessoires.
Car dans cet univers, tout paraît réel, naturel. Rien ne dépare ou ne choque. c'est cet univers foisonnant et terriblement prenant qui signe peut être la plus grande réussite de Batman Begins. Même si son super héros est formidablement incarné, même si ses proches sont interprétés avec une classe folle et ses méchants avec tout l'aspect vénéneux qui n'appartient qu'à eux. Même si cet opus ressuscite avec une incroyable maîtrise son mythe, il apparaît clairement comme une première marche vers quelque chose d'encore plus réussi, d'encore plus dramatique, plus riche et plus fort. Le tout tenant en un simple plan sur la figure évocatrice dessinée sur une carte à jouer.
Mais, en 2005, la légende du Dark Knight n'en était finalement qu'à ses prémices.
Behind_the_Mask, Big City Knights.