Traumatisé par la mort de ses parents alors qu’il était encore très jeune, le milliardaire Bruce Wayne (Christian Bale) délaisse sa fortune pour mener une vie de rapine, qui le mène dans l’Himalaya où il découvre une secte qui lui apprend à imposer sa justice par la force et la terreur. Ayant quitté la secte, Wayne décide de mettre en œuvre son apprentissage et de venger ses parents en devenant le justicier de Gotham City, le légendaire Batman. En combattant la mafia, il met à jour de plus sombres complots…
Dès qu’on s’attache à rédiger la critique d’un film de Nolan, on sent le doute monter en soi : peut-on se hisser au niveau des monuments auxquels on s’attaque et leur rendre hommage comme il convient ? Avec Batman begins, on pourrait penser que ce questionnement n’est pas de mise, car, à bien y réfléchir, on s’attaque là à un des films les moins parfaits de son réalisateur. Et pourtant, un des plus iconiques également. On sait bien que c’est surtout sa suite qui rassemble la quasi-unanimité des suffrages, mais pourtant, ce premier volet n’est pas à négliger, tant il tient dans la carrière de Nolan une place d’une cohérence et d’une importance remarquables.
Délaissant le cinéma policier qui l’a fait connaître, Christopher Nolan en conserve pourtant tous les codes qu’il adapte ici au genre super-héroïque, bien mieux que ne le tenta Shyamalan dans son assez pathétique Incassable. Car Nolan n’en oublie pas pour autant ce qui fait l’essence même du cinéma de super-héros : le grand spectacle.
Prenant l’exact contre-pied de celui de son prédécesseur Tim Burton, qui nous avait régalés de deux chefs-d’œuvre avec ses deux Batman, le style de Christopher Nolan frappe d’abord par son immense sobriété. Si l’on excepte le métro aérien, seul élément (toutefois assez discret) de fantaisie dans le froid décor urbain de ce New York fantasmé qu'est Gotham City, Batman begins est un film sombre et pleinement ancré dans une réalité, certes alternative, et pourtant très proche de la nôtre.
A cette image, tout le film de Nolan adopte une approche constamment terre-à-terre, qui nous rappelle parfaitement que le cinéma de super-héros ne nous parle pas d’abord de surhommes, mais bel et bien d’hommes à part entière. C’est d’ailleurs avant tout à une réflexion sur l’homme que nous invite le réalisateur, à travers son discours assez classique sur la dualité du Bien et du Mal, mais également par le biais de son discours, plus intéressant et un peu moins convenu, sur l’ambiguïté qui sépare la justice de la vengeance. Car si Batman se veut un justicier, son action est d’abord motivée par la vengeance, en voulant faire payer aux criminels la mort de ses parents. Prêt à devenir un criminel lui-même pour venger comme il se doit cette blessure qui n’a jamais cicatrisé, le personnage de Bruce Wayne dépasse constamment les clichés auxquels son écriture semble pourtant devoir le vouer.
C’aurait été mal connaître le génie de Nolan, qui, même en restant dans des sentiers battus comme ici, sait toujours tracer sa propre voie, afin de donner à ses œuvres l’étincelle d’originalité qui les fait pleinement sortir du lot. Evitant de s’attarder sur l’inévitable romance, ici aussi supportable qu’elle est discrète (et elle l’est beaucoup), le scénario préfère s’étendre plus en détail sur ce qui caractérise le mieux Batman : sa relation avec son majordome Alfred, qui trouve bien évidemment avec Michael Caine sa meilleure incarnation. Le cinéaste apporte ainsi au récit une patte très britannique dans l’âme, qui relève merveilleusement la sauce. Alors que les poncifs habituels sur les traumatismes d’enfance ne sont pas tous évités, la relation master and servant qui lie Bruce Wayne à son fidèle majordome leur donne un éclairage plus original que d’habitude et ainsi très plaisants.
Il faut dire que le casting n’est sans doute pas pour rien à cet aspect de nouveauté que revêt une histoire pourtant déjà vue mille fois. Si Michael Keaton avait déjà marqué le rôle en son temps, Christian Bale offre définitivement à Batman son vrai visage, et on peine à croire qu’un autre acteur, un jour, réussira à habiter autant le personnage (même si on souhaite tout le bien du monde à Robert Pattinson, qui semble bien parti pour marquer à son tour le personnage de son empreinte). Son duo avec le géant Michael Caine est bien sûr le principal attrait du film, mais la galerie des « vilains » s’appuie également sur des prestations plus que solides (Tom Wilkinson, Cillian Murphy, Liam Neeson, excusez du peu !), tandis que du côté des gentils, Gary Oldman et Morgan Freeman apportent au film une touche de sympathie fort louable, de même qu’une Katie Holmes qui semble toutefois un peu en retrait (sans doute plus une question d’écriture du personnage que de jeu d’actrice).
Mais si Batman begins fonctionne aussi bien, c’est avant tout grâce à un travail formel qu’il convient de saluer à sa juste valeur. Malheureusement, l’on rejoint aisément le flot des critiques déçues par les scènes d’action de Nolan dans ce film (il s’améliorera considérablement par la suite), jamais chorégraphiées et souvent hachées par un montage visiblement quelque peu hésitant, Lee Smith se révélant plus à l’aise sur les séquences de poursuite. Contrairement aux scènes de bagarre, ces dernières approchent cette fois de la perfection par la qualité de la photographie signée Wally Pfister et de ses mouvements de caméra, d’une fluidité exceptionnelle notamment lors d’un climax ébouriffant. Jamais tape-à-l’œil, toute la mise en scène nous propose des cadrages soignés et magnifient bien souvent un décor très réfléchi et parfaitement exploité (si seulement Marvel pouvait en prendre des leçons !).
Elle est d’ailleurs parfaitement servie par une partition très impressionnante signée par deux des plus grands noms du cinéma contemporain : Hans Zimmer et James Newton Howard, dont le génie n’est plus à démontrer. Pour créer un thème aussi mémorable constitué de deux notes seulement, il faut assurément une bonne dose de génie. Aussi lente et réfléchie que le film lui-même, la bande-originale épouse si bien le travail visuel qu’on ne sait plus si la musique sert l’image ou si c’est l’inverse.
Ainsi donc, si Batman begins souffre de quelques faiblesses visuelles ou scénaristiques, de par une certaine confusion dans le montage des séquences d’action ou d’un léger manque d’originalité, il constitue toutefois un des jalons les plus importants dans la carrière de Nolan, tant il permet d’ériger au rang de blockbuster une vision d’auteur portée par une réflexion philosophique et même politique, qui semble malheureusement avoir déserté le cinéma américain contemporain. Il fallait bien cela pour magnifier le genre super-héroïque, dont l’omniprésence de Marvel et la chute qualitative de DC Comics sur nos écrans tend trop souvent à nous faire oublier la noblesse.