Si Tim Burton arrivait chez moi, avec un gros chèque signé par la Warner, je l'écouterai attentivement.
« Tu vois, Ju, ça m'gonfle Batman, j'sais pas pourquoi j'ai signé que j'en ferai d'autres ; encore, deux je me suis marré, mais j'ai du me battre pour Mickael, j'ai du me battre pour qu'il n'y ait pas Robin, et là je n'y arriverai pas. J'veux pas le faire moi ce foutu film. »
Du coup, je le fais s'asseoir, il n'a pas l'air bien, il est un peu pâle, mal coiffé, il tremble, et j'entends ce chèque qui bouge de sa main, le bruit du papier. Et soudain, je vois le chiffre, cent millions. De dollars. Cent millions de dollars !
« Du calme, Tim, prends un café, prends un pétard, prends des vacances, occupe-toi de tes projets, ton film avec les extraterrestres il a l'air cool, tu le sais bien ! Laisse-moi m'occuper de tout, je vais l'faire Batman, j'ai plein d'idée, tu verras, on mettra ton nom en bas, genre « produit par » et tout ira comme sur des roulettes ! »
Et voilà, Tim repart d'un pas lourd, je regarde un moment sa tasse de café laissée au bord de la table, et je m'en fiche ! Désormais, je me ficherais de tout, j'ai cent millions de dollars pour faire le troisième Batman ! Batman, et je fais ce que je veux !
Déjà, j'aurais vu un Gotham City année cinquante, avec des lumières très noires, et très blanches, et très sales, une misère terrible, un vrai krach, du protestantisme avec pointes et gargouilles ! Il y aurait des truands, la mafia, des flics alcooliques, et ça irait pour le décor. Il faudrait Batman, évidemment, on vire Keaton, je suis désolé pour lui, mais pas possible, on cherche un mec qui n'ait pas l'air ridicule en Bruce Wayne, genre Georges Cloney, un de ces mecs qui suinte le fric et la classe. Et un Robin, dépressif, pas un petit con de rebelle qui veut se venger, un Robin noir, flippant, qui n'inspire pas confiance ! Et puis il faut des méchants, des vrais ! Evitons tout de suite le gros qui aime se battre, il faut des fous, lunatiques, dangereux. J'hésite un peu, E. Nygma, le Chapelier fou, éventuellement Double Face, j'aurais bien aimé avoir Le Joker, mais ça serait bizarre qu'ils reviennent dans le trois. Encore que je m'en foute totalement, j'ai cent millions et je fais ce que je veux. Et j'veux de l'asile d'Arkham, des psys aussi barjo que leurs clients, une fin avec un pétage de plomb des docteurs, la création d'une folle comme la copine du Joker !
Je pense que je mettrais des blagues débiles, des phrases totalement fausses, en dehors du temps, genre facile à deviner – parce que j'joue souvent à ça dans ma tête, deviner les fins des phrases chocs – des trucs tout justes bons pour la bande annonce ! Il y aura des gadgets complètement inutiles, et pas dans le thème, parce que je m'en fous du thème, je suis pas un vrai fan des comics, ni rien. Je me fiche de tout, j'ai cent millions ! Cent millions de dollars pour faire un film avec Batman dedans. Et ce gros nul de Robin. Ca me rend dingue. Je vais. Aaaaaaaaaaaaaaaaah !
Quatre jours plus tard, ma psychologue s'assoit devant moi, calme, sereine, souriante :
- Comment ça va aujourd'hui ?
- Mieux, docteur, mieux.
- Vous vous rappelez qui vous êtes ?
- Oui, je sais, je ne suis pas Joël Schumacher. Et ce n'est pas moi qui aie tué Batman ?
- Qu'est ce qui vous est arrivé ?
- Je crois que j'ai voulu comprendre pourquoi Batman Forever il est aussi nul. En fait, Joël, il aime pas Batman, il le connait pas vraiment, et quand Tim Burton lui a donné l'argent, il est devenu fou. C'est ce qui m'est arrivé. Je vais m'en sortir, docteur ? J'vais m'en sortir ? J'ai juste voulu essayer de comprendre.
- Ca devrait aller, mais faites attention. Suivez bien votre traitement. M. Schumacher, qui est aussi un de mes patients est victime de crises chroniques, dans ses pires cauchemars, il parle de faire un quatre avec Arnold Schwarzenegger. Et même Batgirl.