La féline.
Après son Edward et ses mains d'argent, Tim Burton revient faire un tour dans l'univers qu'il avait mis en images avec le premier Batman, et le truc sympa, c'est que le Timothy enlève, cette fois,...
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le 20 mai 2013
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En dépit du triomphe commercial et de l’impact culturel colossal du premier Batman de 1989, Tim Burton était tout sauf enthousiaste pour en réaliser la suite s’étant estimé dépossédé du projet par les décisions prises dans son dos par les power players de l’époque, le duo de producteurs Jon Peters / Peter Gruber. Seul un contrôle total sur le nouveau film garantirait son retour, contrôle qu’il obtient sans conditions de la Warner Bros. Première victime de cette décision le scénariste de l’original Sam Hamm qui avait déjà rédigé une première version de l’histoire dans la continuité du film précédent, le choix de Catwoman et du Pingouin comme méchants étant déjà arrêtés depuis longtemps. Son scénario introduisait le personnage de Robin, poursuivait la romance de Bruce avec Vicki Vale (Kim Basinger) et ramenait l’horripilant Alexander Knox (Robert Wuhl). Burton souhaitant repartir de zéro, il fait appel au scénariste de Fatal Games (Heathers) Daniel Waters avec qui il va travailler en toute autonomie pour tordre à la sauce Burtonesque le canon des comics. L’histoire débute à Gotham par la naissance d’un enfant monstrueusement difforme dans la riche famille Cobblepot (Paul « Pee Wee Herman » Reubens et Diane Salinger), qui jettent rapidement le bébé dans son berceau dans la rivière. Trois décennies plus tard, l’enfant est devenu le monstrueux Pingouin (Danny Devito), qui orchestre une vague de crime depuis son repaire dans les égouts et finit par former une alliance avec l’homme d’affaires corrompu Max Schreck (Christopher Walken), qui présente le Pingouin comme un candidat à la mairie avec son soutien. Pendant ce temps, la secrétaire de Schreck,, Selina Kyle (Michelle Pfeiffer), subit une expérience de mort imminente aux mains de son employeur, mais revient à la vie grâce à l’intervention magique d’une coterie de chats. Elle confectionne un costume en cuir-vinyle et assume l’identité de Catwoman. Dans la vision de Burton et Waters le Pingouin n’est plus un gangster éloquent obsédé par les oiseaux et les parapluies mais un un mutant monstrueux abandonné par ses riches parents dans les égouts où il a été recueilli par une colonie de pingouins et qui prévoit de kidnapper et de tuer tous les fils premiers-nés de Gotham en les noyant dans des eaux usées. Catwoman n’est plus une cambrioleuse habile, mais une secrétaire devenue femme fatale après avoir été poussée par la fenêtre par son patron misogyne, puis mystiquement ressuscitée par des chats errants. Alors que dans le premier film, le héros maintient une façade de mondain distant dans ses fêtes du manoir Wayne , Returns le dépeint encore plus maussade et renfermé, ruminant dans son bureau vide attendant que le bat-signal s’allume dans le ciel de Gotham. Burton, si il aime la figure de Batman n’a finalement que faire du canon du personnage c’est ainsi que Max Shreck (Christopher Walken) – nommé d’après l’acteur qui a joué Orlok dans le Nosferatu de Murnau mais clairement inspiré de Donald Trump à l’époque homme d’affaires new-yorkais très controversé – un capitaliste vicieux qui veut saigner la ville à blanc à la fois responsable de l’ascension du Pingouin et de la création de Catwoman est de facto le méchant principal du film sans être issu des comic-books. Batman Returns ne donne jamais l’impression d’avoir été écrit par un comité, le scénario de Daniel Waters triste et méchant est ponctué de bouffées d’humour très noir qui colle au style de Burton mais apporte également un angle politique avec son idée d’une intrigue autour de la campagne électorale du Pingouin. Idée satirique et presque visionnaire qui imagine qu’une créature aussi vulgaire que le Pingouin puisse séduire l’électorat (même si l’idée qu’il doive abandonner ses ambitions parce qu’il a été filmé en train de dénigrer sa base semble aujourd’hui dans notre ère post-Trump bien naïve).
Il faut attendre plus de treize minutes avant que Michael Keaton n’apparaisse à l’écran dans le rôle titre, sa première ligne de dialogue arrive elle aux alentours de dix-sept minutes mais c’est bien Keaton lui-même qui a cherché à minimiser son dialogue pour faire de son personnage une figure silencieuse. Tim Burton fait une grande place aux origines de ses deux super-vilains, le film est tout autant un Penguin Begins ou un Catwoman Begins qu’un Batman Returns mais contrairement au film de 1989 le personnage n’est pas éclipsé par eux, Burton et Keaton travaillent davantage sur Bruce et son alter-ego à mesure que le film avance. Batman Returns offre parmi les moments les plus iconiques du personnage à l’écran quand notre héros assis au Wayne Manor, dans le noir, seul, se dresse quand il aperçoit le premier Bat-Signal qui se reflète dans son bureau par un système complexe de loupes. Burton le représente, tout autant que ses adversaires comme un freak plutôt que comme un super-héros. Le Pingouin se fait d’ailleurs le porte parole du metteur en scène quand il l’accuse d’être un hypocrite (« Tu es juste jaloux parce que je suis un vrai monstre et que tu dois porter un masque« ). Malgré ses tourments Bruce appartient toujours à l’élite de Gotham qu’il peut rejoindre à loisir en retirant son masque ce qui le rendra toujours différent des créatures qui hantent les égouts ou les ruelles de Gotham. C’est d’ailleurs un héros assez impotent, quand il essaye d’empêcher Selina / Catwoman de tuer Max Shreck et promet de l’emmener en prison, ce dernier les abat tous les deux avec désinvolture avant que Selina ne finisse par le tuer. Le Batman de Batman Returns semble ambivalent sur sa propre croisade, là ou le précédent se terminait par la vision majestueuse de sa silhouette protectrice surplombant la cité , ici il n’adresse quasiment pas la parole aux autorités incarnées par le Commissaire Gordon (Pat Hingle) et semble désintéressé du sort des habitants. Si il est hyper-compètent quand il s’agit de tabasser (et même tuer) des hommes de main grimés en clown il semble beaucoup moins assuré quand il s’agit d’aborder Catwoman, avec ses griefs tout à fait compréhensibles contre la corruption et les hommes qui la mènent. Le film s’achève sur le Bat-Signal, brillant dans la nuit non pas comme une lueur d’espoir mais comme le signe que Batman reviendra encore, probablement tout aussi malheureux et dépressif. Par rapport aux autres interprètes qui lui ont succédé dans le rôle, le Batman de Michael Keaton est plus stoïque, plus calme, restant souvent immobile sans se livrer à beaucoup de combats au corps à corps (en partie à cause d’un costume qui entrave sa mobilité, costume entièrement repensé par le technicien d’effets spéciaux Steve Wang qui rétabli au passage le bat-emblem classique) mais il possède une intensité sanguine et un regard perçant. Les talents comiques du comédien de Birdman sont aussi mieux utilisées ici que dans le film de 1989. Il montre également de nouvelles dimensions de la personnalité « publique » Wayne au public loin du playboy étourdi du précédent, notamment en permettant au spectateur de le voir agir « sous couverture » dans la salle du conseil d’administration face à Max Schreck utilisant sa personnalité de businessman pour découvrir de nouvelles informations sur les plans du magnat.
Danny DeVito qui s’éclate visiblement sous des tonnes de maquillage (signé du studio de Stan Winston), dévorant chaque scène, grinçant de ses dents noirâtres, fait du Pingouin un monstre sympathique : horrible en apparence, grossier et corrompu par nature mais néanmoins une figure tragique. Oswald Cobblepot reconnaît d’ailleurs dans son ennemi juré une âme sœur. N’est il pas une autre version de Wayne difforme, abandonné au lieu d’être orphelin ? L’autre (et authentique) méchant du film Max Schreck est également une image déformée de Batman – un millionnaire utilisant sa fortune pour nuire aux habitants de Gotham plutôt que de les protéger. Christopher Walken, -à son plus Walkenesque – avec sa perruque grise et son étrange diction imprègne l’odieux Shreck d’une malfaisance théâtrale. Michelle Pfeiffer, qui a décroché le rôle après le forfait d’Annette Bening (tombée enceinte peu avant le tournage) livre une des grandes performances d’actrice de la décennie, déterminante pour sa carrière dans le rôle de Catwoman, une des plus iconiques des Comic Book Movie . Elle compose une figure inoubliable en talons hauts dans une tenue SM de cuir et de latex naviguant entre l’anti-héroïne et la méchante. Elle passe de « demoiselle en détresse » à « femme fatale » de manière si naturelle et avec un tel charisme qu’on ne remet jamais question le fait que Batman ait rencontré son égal. Elle incarne toute la fureur des femmes maltraitées, en guerre contre les exploiteurs sexistes de Gotham (un message qui n’a rien perdu de sa pertinence) . Mais Pfeiffer convoque également le désespoir d’une véritable crise d’identité que traverse son personnage. On peut voir quelque chose d’un message message subliminal adressé par Burton à la major dans la façon dont Catwoman ravage le grand magasin Shreck qui vend des mensonges commerciaux . Contrairement à Bruce Wayne, Selina Kyle trouve une libération dans son identité costumée et c’est ce qui l’attire immédiatement chez elle. A sa manière, Batman Returns parvient à faire passer une véritable relation adulte dans un film de super-héros aidé par la chimie du couple Keaton/ Pfeiffer. La romance entre Wayne et Selina Kyle – à la fois dans et hors de leurs costumes – s’avère étonnamment poignante, celle de deux amants clairement destinés à être ensemble mais qui ne pourront jamais l’être vraiment. Burton y met une touche d’Ernst Lubitsch et de screwball comedy les deux personnages dissimulant leur double vie, leurs identités secrètes et leurs cicatrices lors d’un câlin au coin du feu. Alors que les affiches de Batman Returns laissaient imaginer un combat acharné entre la chauve-souris, le chat et le pingouin, le film s’avère beaucoup plus sympathique dans sa représentation des trois piliers de DC Comics. Batman Returns s’inscrit parfaitement dans la filmographie de Tim Burton et sa célébration des personnages bizarres et des parias de Pee-wee Herman et Edward Scissorhands à Jack Skellington et Ed Wood. Il montre tout autant ce qui unit le trio que ce qui le divise, en particulier le pouvoir qu’ils trouvent dans leurs identités secrètes. La tragédie ultime de Batman Returns est que le chevalier noir ne peut finalement sauver aucune de ces âmes solitaires, quand vient le générique de fin, Bruce retourne à son existence solitaire dans ce manoir aux allures de château à la périphérie de la ville – tel un monstre de la Universal condamné à la solitude.
Batman Returns est un des plus grands films de son auteur débordant de la grandeur gothique et de la mélancolie poétique d’un Tim Burton au sommet de sa phase néo-gothico-pop. Le film devient un conte de fées baroque, lorsque la caméra plonge telle une créature de la nuit à travers l’architecture tordue du zoo de Gotham, il est clair que nous sommes pleinement à Burtonville. Burton a travaillé avec son concepteur artistique de Beetlejuice et Edward Scissorhands Bo Welch pour desserrer davantage les liens qui rattachent Gotham City à la réalité. Au lieu de l’esthétique art déco noir de l’original, la Gotham City de Batman Returns est un mélange fantasmagorique d’expressionnisme allemand (ce n’est pas un hasard si Oswald Cobblepot lorsqu’il est habillé de pardessus ressemble au Caligari incarné par Werner Krauss dans le classique muet de 1920 Le Cabinet du Dr Caligari) et d’architecture fasciste. Burton ré-imagine Gotham en un un pays féerique cauchemardesque où même le joyeux esprit de Noël est parasité par un sentiment de terreur inquiétante. Les chutes de neige continues contrastent avec les silhouettes sombres des bâtiments et les ombres des personnages. Les ruelles de Gotham City sont le décor principal des duels entre les forces du film, l’absence de prises de vue extérieures, le film est ostensiblement tourné en studio donne à Batman Returns un sentiment tendu et presque claustrophobe. Ce monde anachronique avec son architecture d’inspiration fasciste qui s’étend des rues fumantes jusqu’à un ciel nocturne sans étoiles est libéré des contraintes du temps. Le Pingouin utilise une plume d’oie pour écrire, Batman stocke ses informations sur compact disc, Batman Returns pourrait ainsi aussi bien se dérouler aujourd’hui, dans un passé proche ou à un moment indéfini dans le futur, le film ne vieillira jamais. Batman Returns aussi sombre qu’il soit est finalement plus proche de la série télévisée Batman des années 60 que des itérations ultérieures de la trilogie de Christopher Nolan et du The Batman de Matt Reeves, le stratagème du Pingouin pour devenir maire est d’ailleurs tiré d’un épisode de la série avec Adam West. La photographie de Stefan Czapsky qui avait signé celle lumineuse de Edward Scissorhands et retrouvera Burton une dernière fois pour le riche Noir & Blanc d’Ed Wood est somptueuse, très contrastée, réussit à être tout à la fois obscure avec une brillance hollywoodienne. C’est une forme d’injustice qu’il soit désormais cantonné à la télévision (le revival de The Equalizer sur CBS) au regard du talent déployé ici. C’est évidemment Danny Elfman, qui signe la bande-originale, libéré du parasitage d’un album pop parallèle comme celui de Prince en 1989, il parvient à améliorer sa composition pourtant iconique du thème de Batman en y ajoutant des chœurs d’enfants qui font du thème d’ouverture à la ballade de clôture, de chaque morceau un chant de Noël infernal, joué dans un cirque macabre.
Alors que le film sort au cœur de l’été Batman Returns se déroule entièrement pendant la période de Noël (on peut considérer Max Schrek comme l’archétype des méchants des contes de Noël et le Pingouin comme une version du Grinch) mais tous ses éléments à destination des enfants (Batman et ses gadgets, une armée de pingouins, des clowns) sont sapés par sa tristesse écrasante, une sexualité implicite et sa compassion pour ses personnages monstrueux. La Warner est sous le choc quand malgré un timing parfait – le film sort le même week-end de fin juin trois ans plus tard que le Batman de 1989, après que Burton ait assis entre-temps sa popularité avec Edward aux mains d’argent -la vision radicale de Burton sur un de ses grands personnages rapporte près de 100 millions de dollars de moins que son prédécesseur. Son partenaire publicitaire McDonald’s lui demande des comptes à propos d’un film qui effraye les enfants (le film débute avec un bébé abandonné dans les égouts et le plan du Pingouin consiste à kidnapper et noyer tous les premiers-nés de la ville) et dont les personnages principaux sont une femme engoncée dans une tenue S&M et un homme-pingouin faisant de nombreuses insinuations sexuelles tout en vomissant une bile noirâtre. Désormais la chaine de restaurants (dont Michael Keaton incarnera le fondateur dans …Le Fondateur) exigera de valider par avance le scénario des films avant de signer tout partenariat. Batman Returns changera le cours des adaptations cinématographiques du personnage, Warner prendra une option plus colorée et à destination des enfants avec le Batman Forever de Joel Schumacher avant que les excès de son Batman & Robin ne provoquent à leur tour un retour de balancier qui aboutira à Batman Begins et ses suites que Christopher Nolan va enraciner dans un esprit de réalisme qui contraste avec la version onirique et fantaisiste de Burton. Une option qui s’est poursuivie en 2022 avec le The Batman de Matt Reeves. Aucune approche n’est forcément la meilleure ou la plus « correcte » mais cela démontre la plasticité du personnage et sa capacité remarquable à résister à plusieurs réinitialisations. A ce jour, trente ans après sa sortie Batman Returns reste une anomalie dans la franchise, conçu pour s’intégrer dans l’œuvre de son auteur plutôt que de servir les fans de comics et reste celui qui traite ces personnages abîmés avec le plus d’empathie. En réinterprétant le monde de Batman sans le fardeau d’une reproduction fidèle, libre des attentes de l’industrie, Tim Burton et son équipe auront signés une des œuvres les plus originales, canon multimédia du caped-crusader.
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le 17 août 2022
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