(Attention, spoilers !)
Après le succès commercial et critique de son Batman, il était logique que la Warner confie à Tim Burton la direction de sa suite. Fort de la confiance du studio, le réalisateur américain jouit d'une liberté qui va lui permettre de faire à peut près ce qu'il veut. Plutôt que de se conformer aux codes du blockbuster classique, Burton va, plus encore que dans le premier film, imposer sa vision de l'univers et des personnages et créer l'un de ses oeuvres les plus torturées.
Pour bien saisir de quoi parle Batman Returns, il convient de faire le lien avec le précédent long-métrage du cinéaste : Edward aux mains d'argent. Conte de fée moderne autant que critique de la bêtise de l'homme, le film dresse le portrait d'un freak, un être différent, à part, qui, après avoir été accepté par la société humaine, sera rejeté à cause de la peur qu'il inspire. Cette modernisation du mythe de Frankenstein va être réutilisée par Burton dans Returns.
En effet, dès le début du film on nous le fait comprendre : le personnage principal du film n'est pas Batman. Plus encore que dans le film de 1989, la chauve-souris est très effacée. Ses apparitions sont peu fréquentes et le personnage de Bruce Wayne n'a droit à aucun développement. Rarement un super-héros n'aura été si absent d'un film de super-héros. Non, le protagoniste au centre de l'intrigue, c'est le Pingouin. Enfant difforme rejeté par ses parents dès son plus jeune âge, élevé par des manchots et devenu un seigneur du crime, Oswald Cobblepot n'est pas tant un méchant qu'une triste victime de la société dans laquelle il vit. Comme Edward, il vit seul, exclu du reste de l'humanité, l'un élevé par un savant fou, l'autre par des pingouins. Comme Edward, il a l'apparence d'un monstre. Et comme Edward, il sera d'abord accepté par une société le voyant comme un phénomène avant d'être rejeté sauvagement. La différence étant que le Pingouin réagit par la colère plutôt que par la peur. Mais à l'inverse d'un Joker purement malfaisant, même avant sa transformation, on ressent de l'empathie pour Cobblepot, martyr manipulé avant d'être sacrifié au nom de l'idiotie humaine, comme le montre la scène de la procession funèbre, à la fois macabre, grotesque et déprimante. Burton réussit à créer un méchant ridicule, terrifiant et attachant dans sa quête de reconnaissance par ceux qui ne voient en lui qu'un monstre. Il est d'ailleurs incarné avec brio par un Danny DeVito méconnaissable.
L'autre personnage clé du film est bien entendu Catwoman. Comme le Pingouin, elle est victime d'une société pourrie, ici personnifiée par le personnage de Christopher Walken, glaçant. Elle aussi se voit changée en monstre, et elle aussi réagit par la colère en se lançant dans une quête vengeresse. Mais là où le Pingouin est contaminé, elle reste hésitante (cf la scène du bal), Batman tentera d'ailleurs de la ramener à la "raison", de la forcer à oublier son aliénation pour vivre une idylle heureuse avec lui. Mais Selina Kyle ne peut reculer, prise dans la spirale infernale de l'aliénation et ira jusqu'au bout de son objectif. Le film se finit ainsi sur une note incroyablement pessimiste. Selina n'en est pas au stade du Pingouin, l'espoir d'une vie normale lui sourit encore mais elle préfère y renoncer. On est donc en radicale opposition avec la fin glorieuse du premier film, ici le sentiment est amer, on ne sait quoi penser, alors qu'on pensait regarder un film de super-héros, on est face à une fable macabre. Michelle Pfeiffer livre ici une mémorable performance, faisant de la femme chat un prédateur sexuel autant qu'un être en profonde détresse et fait rapidement oublier le personnage inintéressant de Basinger.
La mise en scène, quant à elle, est toujours aussi réussie. Comme dans le premier film, Tim arrive à créer une ambiance unique, à mettre en valeur les décors somptueux et l'héritage expressionniste se ressent toujours autant, notamment dans l'utilisation des ombres. Il est à noter l'apparition de la neige, qui, avec son aspect pur, contraste avec le côté poisseux de Gotham et donne au film un ton étrangement poétique, qui colle encore plus à l'univers du cinéaste. L'exemplaire partition de Danny Elfman va dans ce sens : aux côtés de l'emblématique thème principal, on trouve des touches de carillon, des coeurs ou encore de l'orgue. Là aussi, on pense à Edward, ou encore à l'Etrange Noël de Mr Jack, et cela ne fait que renforcer le sentiment qu'on est face à un film ancré dans l'oeuvre burtonnienne, plutôt qu'à une commande de studios.
Tim Burton réussit dans ce film l'exploit de détourner l'univers de l'homme chauve-souris en y apposant un vrai traitement d'auteur. Loin des clichés hollywoodiens, Batman Returns est un film sombre, poétique et déprimant, qui occupe une place de choix dans sa filmographie et mérite de figurer au panthéon des meilleurs films de super-héros de l'histoire.