« Beau is Afraid », c’est typiquement le genre de film pourri gâté devant lequel on se paluche volontiers tout en se demandant « mais qui donc peut apprécier ça ? ». Troisième long-métrage d’Ari Aster, lequel avait déjà foudroyé les sceptiques de l’elevated horror avec « Hérédité » (2018) et « Midsommar » (2019), cette fresque cauchemardesque de trois heures nous entraine dans une suite de séquences copieusement visionnaires et pétulantes, ne cessant de surenchérir leurs traits métas et leurs attraits plastiques. Si la première partie nous colle à la vision d’une Amérique crasseuse, rossée et particulièrement généreuse en faux sang et en hurlements, le film s’emballe dans une radicalité plastifiée à partir du moment où Beau se retrouve alité dans une famille noueuse tout juste digne d’avoir été engendrée par un Yorgos Lanthimos sous amphétamine. À partir de là, c’est un festival d’épluchures de patate : Beau se fait virer de tous ces abris successifs, et il y a des couilles, du sang, une mère, des flingues, du théâtre, et entre tous ces cyclones un petit film d’animation en prime !Si tout cela n’est pas sans constituer une réjouissante myriade, il ne va pas sans dire que « Beau is Afraid » est exténuant. Malgré l’intérêt initial que l’on pouvait confier à cette œuvre utilisant l’horrifique et le comique pour dissimuler la profonde tristesse de son histoire, arrive un moment où il se passe tellement de choses qu’on n’en a absolument plus rien à faire de ce que le film veut nous raconter, où l’on se fiche pas mal des directions qu’il prend, et où l’on finit par simplement le regarder passer comme un long jet d’urine fumante. Aster convoque une telle kyrielle de techniques, d’effets, de situations rocambolesques, qu’au bout d’un moment son récit finit par se voir tout simplement dénué d’événements au profit de l’étiolement et de la redondance. Si le cinéaste a su se propulser aussi loin et aussi rapidement sur le devant de la scène horrifique, c’est notamment pour son aptitude à créer des enjeux à partir de l’espace, renversant et déversant nos habitudes spectatorielles (on pense à la maison de poupée dans « Hérédité », aux distorsions dans « Midsommar »). L’espace est également un des thèmes phares de « Beau is Afraid » : Beau se donne comme consigne de ne laisser entrer personne dans son appartement, tandis que le film est (sur)chargé en connotations et de motifs retorses, mariés à une mise en scène cyclonique. Mais là où par le passé Aster se plaisait à en faire des caisses sans pour autant casser les roupettes, accouchant de morceaux cinématographiques totalement fous, il s’abandonne ici au bouillonnement d’un exutoire de mise en scène ultraprécis (comprenez : pleins de détails qui font sens) gravitant autour d’un Joaquin Phoenix en plein cabotinage dans ce rôle effrayé et bizarre comblant toutes ses obsessions de déchéance masculine… Rarement un orphelin aura fait l’objet d’une si colossale prétention.On se félicitera que ce genre de suicide commercial soit donc encore possible, reste que le résultat est un film plus copieux que généreux. S’il devait être un plat, il mélangerait tous les types de viandes possibles et agrémenterait le tout de chèvre-miel-ketchup-mayo ; et on ne s’étonnerait même pas d’y trouver du sperme, puisque finalement tout ici tourne autour du phallus (sic). Louable intention de que parler des anxiétés et de la culpabilité liées à la masculinité, ce film n’en demeure pas moins un long gloubi-boulga vulgaire ayant la vacuité de se croire intéressant parce qu’il sent bon (comme un vrai bonhomme, pourrait-on dire !).