Grande était mon impatience à découvrir le nouveau film de Felix Van Groeningen, dont j'avais adoré The Broken Circle Breakdown, petit bijou d'émotion à la musique inoubliable.
Je commencerai par dire ce qui ne m'a pas séduite dans son Belgica et qui, pour moi, est LE gros défaut de ce film : un scénario un peu faiblard, qui manque pas mal de consistance. On se prend à se demander s'il y a même une histoire : nous prenons les personnages in media res dès le début du film, nous ne comprenons pas forcément leurs motivations, je trouve que leur psychologie n'est pas suffisamment creusée. On n'échappe malheureusement pas, par instants, à un certain ennui.
Belgica se veut une oeuvre avant tout visuelle et sonore : le réalisateur et son directeur de la photo ont fait un incroyable travail des couleurs et de la mise en scène et, encore une fois, les choix musicaux (signés Soulwax) sont fabuleux. La musique joue ici un rôle central en ce qu'elle est le nerf même de la fête et de ses excès, c'est elle la drogue la plus dure, c'est qui fait vibrer les corps à l'unisson, fait naître une cohésion aussi éphémère qu'illusoire.
Les deux frères sont tous deux des mordus de l'ambiance underground, et leur bar leur ressemble : fou, ouvert à tous, expansif, généreux - un univers interlope dans lequel se mélangent la bière (qu'on boit du matin au soir), les cigarettes (qui ne quittent que rarement les lèvres du duo central) et la cocaïne, le tout assorti d'inévitables dérives violentes et de l'émergence de comportements limites (dans le cas du personnage de Frank). Une atmosphère festive, conviviale, enfumée et survoltée, parfaitement bien rendue et qui fera sans doute remonter de lointains souvenirs de bringues arrosées chez pas mal de spectateurs.
Intéressant aussi, le choix de traiter du rapport fraternel que, pour ma part, j'ai assez peu vu au cinéma et que je trouve très bien étudié ici - ce cocktail d'amour et de détestation, cette confiance aveugle, cette émulation mutuelle dans l'envie de célébrer, cette complicité émouvante et ces aveux d'attachement. Les acteurs sont très justes, très bien filmés, portant chacun leur part de noirceur et de doute - mention spéciale pour Jo, à qui la difformité physique apporte une étrange beauté un peu pirate et mystérieuse.
Bien évidemment, le film est à voir absolument en version originale, pour entendre les voix rocailleuses, sons de gorge sauvages, râles gutturaux de ces fumeurs invétérés qui ne s'économisent guère. Brûler la vie par les deux bouts semble être le leitmotiv de ces frères auxquels on finit par s'attacher, pour leur imperfections et leurs vicissitudes diablement humaines.
Un film tripant, sensuel, mélancolique, dépravé et entêtant qui vous embarque avec force dans son tourbillon esthétique. Une nouvelle réussite du cinéma belge !