Hákonarson l'annonce : son film, il le dédie aux moutons. Car ce sont bien eux, les personnages principaux, sacralisés en ouverture par un (apparemment) banal concours de beauté. Par eux que naît l'animation dans ce petit village isolé; dans lequel ils sont les sauveurs et les dangers à la fois.
Ne vous fiez pas à l'allure vieux bonhomme des personnages, encore moins à l'ambiance triviale de la compétition de béliers. Dans le drame absolu, plombé par quelques notes de musique lancinantes et fatalistes, le réalisateur use et abuse d'un comique de situation efficace, évitant ainsi le piège d'un film tire-larmes au regard de la gravité des personnages. Hákonarson y distille des scènes de respiration calées avec justesse et nous délecte d'un humour noir particulièrement délicat, à l'image du vieux Kiddi, que son frère Gummi retrouve congelé dans la neige, et qu'il jette en pelleteuse devant l'hôpital. Car en dépit des apparences, il s'agit paradoxalement un acte "d'amour" au regard de leurs relations mutiques, où la seule communication passe par le nécessaire affrontement. A se demander qui sont réellement les "béliers" de l'histoire.
Au-delà de l'infinie liberté des vallées, dont les vues s'enchaînent comme on fait tourner des diapositives, Hákonarson fait émerger la partie invisible de l'iceberg : sans les troupeaux, ces étendues de nature ne sont qu'une triste prison de solitude. Une nature morte et hostile, où le danger est omniprésent. Comme lorsque l'agent sanitaire chargé de vérifier le respect des mesures préventives vient prendre le café tandis que les bêtes rescapées broutent au sous-sol de la maison : ou quand le loup entre dans la bergerie ...
C'est donc parce que leurs moutons demeurent leur seule richesse, à la fois affective et sociale, que la pandémie amorce ainsi la naissance du dialogue - certes maladroit - dans un monde isolé où les animaux sont les seuls porte-voix. Malgré le froid et malgré l'impasse de cet horizon, soudain plongé dans le noir d'une tempête, l'émotion devient brûlante, ardente, et, finalement, cueille le spectateur dans un étourdissant moment de retrouvailles. Et c'est lui, au bout du compte, qui finit, immanquablement, par avoir la tremblante.