Pour le cinéma de Verhoeven, souvent l’objet d’égards forts laudatifs qui suscitèrent toujours chez moi une vaste circonspection, je n’ai éprouvé quelque intérêt qu’à une seule occasion. Basic Instinct était une réussite certes relative mais probablement la seule que l’ « auteur » néerlandais ait su livrer jusqu’ici. Toute mon exécration, toute vitupération émanèrent de mon premier (et je souhaite ultime) visionnage de Total Recall. Affublé du qualificatif de classique (de la science-fiction), je n’apercus en réalité qu’un maelström confondant de scènes aux dialogues risibles, une direction d’acteurice (Schwarzie en tête) confondante et un sens de la photographie aussi médiocre que les possibles du scénario furent exploités avec une modestie que l’on ne peut que difficilement imputer à Verhoeven.
Précautionneux et méfiant face aux critiques derechef dithyrambiques, j’appréhendai de me soumettre à ce Benedetta.


Et quel sacerdoce ce fut!
Quel volonté de s’ériger en figure de martyr lorsque comme moi on s’auto-flagelle 2h11 durant devant cette immense facétie hérétique.


Écartons de prime abord les éléments qui au sein du film triomphent parcimonieusement des velléités ahurissantes de médiocrité de Verhoeven.
Virginie Efira, Lambert Wilson et Charlotte Rampling excellent, et ce malgré les capacités de direction d’acteurices d’un lacunaire consternant. Les scènes de sexe, qui sinon d’offusquer le bourgeois, car le vieux Verhoeven ne nous octroie qu’un amoncellement de poncifs subversifs tristement surannées, s’affranchissent quelque peu du mouvement global de mise en scène peu inspiré-et il s’agit là d’un euphémisme, il convient d’être clément avec les grabataires qui s’évertuent à faire un cinéma caduc.


Ou débuter pour énoncer la pléthore de défauts de Benedetta?
Le premier errement apparaît dès la première scène: un montage abracadabrant, d’un irréfragable arbitraire, d’une impatience exaspérante, expression (discrète, inconsciente? criante quoi qu’il en soit) de la sempiternelle inféodation de Verhoeven à un cinéma hollywoodien et à ses codes de montage irritants au possible.
Poursuivant avec la lumière et le rôle du chef opérateur? Quel hurluberlu, quels traumas ont pu convaincre le chef opérateur et Verhoeven qu’il s’agissait d’une lumière satisfaisante, quelle était réponse grandiose aux ambitions esthétiques d’un grand auteur? Saisissante dans sa laideur, elle est réminiscente de la lumière et du vieillissement on ne peut plus poussif de la lumière (et des décors, et des effets spéciaux, et du film en général) de Total Recall.


L’incongruité de l’œuvre de Verhoeven se poursuit ainsi dans l’écriture. A toute scénariste s’impose un dilemme lorsque pour un film ambitionnant (pour Benedetta, cette ambition ne se matérialisera jamais) de reconstituer, d’une manière ou d’une autre, une époque et, en l’occurrence, son langage? Faut-il s’évertuer à la fidélité historique, au risque de se fourvoyer complètement ou de laisser une œuvre absolument incompréhensible, écrire des dialogues au langage plus ou moins soutenu ou reprendre un langage plus colloquial, afin de par exemple répondre à une ambition comique ou pour deviser sur des thématiques plus contemporaine en s’appuyant sur la parole? Verhoeven semble opter pour cette dernière option, ce qui a priori s’aligne avec le baroque recherché dans son œuvre. Le problème c’est justement qu’il « semble » vouloir opter pour cette option et qu’il ne l’assume pas véritablement. On assiste à l’étrange coexistence d’écritures et donc de dialogues qui paraissent parallèles, non conciliées et qui ne trouvent guère de justification quant à la prestance, l’origine sociale des personnages. De surcroît, ces dialogues, dans le sillage de la provocation de pacotille du métrage, sont d’une fadeur sans nom, comiques par inadvertance et peu amusants lorsqu’ils quièrent l’hilarité.


Je pourrai encore pendant longtemps m’attacher à délivrer un long et éprouvant exposé sur les errements techniques de Benedetta, discourir sur le recours navrant à de divers artifices narratifs, haranguer de manière très abrasive à l’endroit de Verhoeven et sa on ne peut plus suspicieuse réalisation, cependant c’est sur un aspect ignoré ou occulté (à ma connaissance) dans les critiques que je souhaite m’épancher. Est à l’œuvre au sein de Benedetta, une mise en abîme parfaitement pernicieuse: le personnage de Virginie Efira a des apparitions divines (/elle hallucine le christ ?)-passons sur le risible et la laideur de ces séquences oniriques-au cours desquelles Jesus lui confère des missions divines, presque systématiquement d’ordre sexuel. J’y vois la un geste auto-réflexif sournois cristallisant le rôle du metteur en scène dirigeant son actrice. Ceci est très problématique pour deux raisons principalement. En premier lieu, Verhoeven n’exige dans ses scènes metafilmiques qu’exclusivement de ses actrices, des femmes de son film qu’elles se dénudent ou s’adonnent à d’autres pratiques sexuelles ce qui rend, à mon sens, caduques les critiques qui encensaient Benedetta pour son caractère féministe. En second lieu, au moyen de cette mise en abîme perfide, Verhoeven identifie la figure du metteur en scène à celle de Jésus. S’ériger avec si peu de subtilités en auteur-démiurge, en figure christique du cinéma, bien qu’on en conjecture aisément l’égocentrisme invétéré de Verhoeven, me paraît être une ambition cinématographique et philosophique parfaitement vicieuse. Est-ce donc l’individualisme, les autolatries vaines qui constituent les leitmotivs de l’œuvre de Verhoeven? Un cinéaste que la critique est trop prompt à élever au rang d’auteur singulier et iconoclaste?
Souvent décrit comme explorateur du populaire (ne serait-ce pas là le signe de la condescendance bourgeoise d’une part de la critique qui associe trop facilement le vulgaire avec le populaire, le kitsch et la pauvreté esthétique avec la « basse plèbe? ») il conviendrait qu’enfin l’on décrie Verhoeven pour son narcissisme outrancier et désintéressé, un charlatan qui se pare d’auteurisme pour mettre en exergue ses vaines passions et, enfin, un cinéaste, continuellement et erronément sacralisé, qui du domaine de la religion ne mérite que des autodafés-ou d’incendiaires pamphlets.

Filmipe
2
Écrit par

Créée

le 31 juil. 2021

Critique lue 190 fois

Filmipe

Écrit par

Critique lue 190 fois

D'autres avis sur Benedetta

Benedetta
Plume231
8

Shownuns!

Alors un de mes réalisateurs préférés dirigeant dans un rôle principal une des actrices préférées, autant le dire, Benedetta était une de mes plus grosses attentes de l'année ̶2̶0̶2̶0̶ 2021...

le 12 juil. 2021

75 j'aime

26

Benedetta
JasonMoraw
8

Pilonner le blasphème par le God

Paul Verhoeven est un éternel franc-tireur. Un crucifieur de la bienséance. Un provocateur controversé. Son cinéma reprend sa place d’instrument de libération bien décidé à s’absoudre des...

le 12 nov. 2021

60 j'aime

9

Benedetta
Jb_tolsa
4

Tétouffira

C'est Brigitte. Elle est vive d'esprit, et au moyen âge, les filles vives d'esprit finissent violées ou au bûcher. Habile, son père la sauve de ce destin tragique et la place dans un couvent contre...

le 6 janv. 2023

55 j'aime

30

Du même critique

M. Pokora
Filmipe
1

Critique de l'album M.Pokora de Matt Pokora

Dès l’intro Saga 05 de son Magnum Opus M.Pokora, le chansonnier éponyme nous enjoint à pénétrer son univers mystique et explosif. Rythmé par de subtils « Matt Pokora » et « Bienvenue chez moi », cet...

le 5 nov. 2020

5 j'aime

2

Chronique d'Anna Magdalena Bach
Filmipe
10

Critique de Chronique d'Anna Magdalena Bach par Filmipe

L’œuvre de Bach est de celles qui, empreintes d’une foi ardente et inébranlable, parviennent à interroger les athées, les agnostiques et autres déistes sur leur rapport au divin. Par ailleurs, le...

le 29 oct. 2020

4 j'aime

Annie Hall
Filmipe
8

Critique de Annie Hall de Filmipe

Œuvre largement autobiographique de l’auteur new yorkais, évoquant ses différentes relations, par le biais d’Annie Hall et de deux ex-femmes. Très libre dans la narration, qui brise avec subtilité le...

le 1 avr. 2020

4 j'aime

2