Même si, en sortant de la salle, j’ai pu penser qu’il s’agissait d’une œuvre originale dans la carrière de Tim Burton, je me suis rendue compte qu’il y avait toujours certains aspects qui permettent une cohérence entre ses films. Dès la première séquence de Big Eyes, on peut repérer l’autoréférence, la banlieue aux couleurs pastel d*’Edward aux mains d’argents*, que Margaret Keane fuit de manière précipitée. Puis vient la fin du générique, où apparait le nom de Danny Elfman, compagnon musical de Burton depuis toujours. L’aspect biopic s’est vu auparavant dans Ed Wood, où se retrouve aussi l’envie de rendre justice à des artistes décriés ou inconnus, et son amour porté aux marginaux. Car les deux protagoniste sont des marginaux, chacun à leur manière, Margaret Keane par la désappropriation de son art, et sa vie recluse dans son atelier, forcée de garder un secret même auprès de ses proches, et Walter par sa mythomanie conséquente, qui apparaît dans toute sa démesure au moment du procès, donnant lieu à un formidable one man show . Ils sont filmés avec la tendresse qui caractérise le rapport de Burton à ses personnages, et même Christopher Waltz, dans son rôle méprisable au possible, ne parvient pas à nous paraître haïssable sous l’œil bienveillant du réalisateur. Ensuite, il y a le rapport à la famille, qui représente pour Burton une sorte de commodité sociale grotesque, qui réduit la liberté, comme dans le court métrage Vincent, ou la famille de Beetlejuice. La représentation classique de la famille est ici dès le début mise en échec, par le fait que Margaret fuit son premier mari avec sa fille, puis sa relation avec Walter, qui peut paraître idyllique au départ, verra son vernis se fissurer puis éclater, pour finalement aboutir à une autre fuite, signe que le modèle familial n’est qu’un carcan. La photographie et ses couleurs rappelant celles de Big Fish, ainsi que quelques passages fantastiques nous permettent d’identifier l’univers visuel de Burton.
Mais dans Big Eyes, il y a surtout la critique sur le monde de l’art tel qu’il était dans les 60s, et qui n’a pas tellement évolué depuis. Le film nous pousse à nous interroger sur la réception des œuvres d’art, notamment sur le rôle des galeristes, ces « faiseurs d’art » arbitraires, comme celui à qui Walter montre les œuvres de Margaret, qui décrète que les tableaux ne sont pas dans la tendance. Le rapport au grand public, la diffusion de masse des œuvres, la vulgarisation de l’art est aussi questionné. Car finalement, si les œuvres ont pu accéder à cette notoriété, c’est en partie grâce au talent d’orateur de Walter, qui faute d’être un artiste, est un business man, et nous démontre que dans un mon monde de communication, on est plus sensible à celui qui assure le spectacle plutôt qu'à celui qui agit véritablement. La notion de propriété d’une œuvre d’art est ainsi abordée : appartient-elle à celui qui la créée, à celui qui la vend, celui qui la voit, celui qui l’achète ? Même si la justice rendue par le procès à la fin rend un semblant de vérité, la question reste en suspend et mérite un débat. Tim Burton ne s’est donc toujours pas départi de son style, il l’a simplement fait évoluer, et permet par le biais du biopic qui lui convient parfaitement, de rendre justice à des artistes discrédités par la vie et de nous interroger sur des thèmes qui lui sont chères.