D'abord comédienne renommée (il suffit de la voir dans le fantastique High Sierra de Raoul Walsh), Ida Lupino va peu à peu s'imposer à Hollywood comme scénariste, productrice et réalisatrice, et surtout utiliser son talent pour mettre en scène des sujets compliqués, controversés et peu vus au cinéma.
Avec Bigamie, elle étudie la double vie, les mensonges ou encore les trahisons au sein d'un couple, quand bien même tout cela ne serait pas voulu. La particularité se trouve dans le point de vue qu'offre la réalisatrice, il ne s'agit pas de condamner l'un des trois protagonistes (enfin surtout le bigame en question) mais plutôt d'expliquer cette situation et le fait qu'elle puisse être justifiée. Il est surtout question d'un destin ne laissant que peu de place au hasard et du bigame en question cherchant surtout à trouver une solution qui ne ferait de mal à personne, enfin, le moins possible.
Pour cela, Ida Lupino utilise parfois un schéma trop caricatural, en particulier avec le responsable de l'adoption dont l'enquête se résout un peu trop vite et facilement ou les images (la femme indépendante et celle qui travaille) trop ancrées dans une case. Cela n'en devient pas pour autant trop préjudiciable, et il faut aussi savoir plonger dans une époque et des mœurs qui ont bien changé, donnant une dimension plus particulière au contexte du film. Elle déborde d'idée derrière la caméra, à l'image de la mémorable rencontre dans le bus, où une mélancolie se joint à la tristesse de deux âmes solitaires et surtout blessées.
Pour bien mener son œuvre, elle utilise les codes du film noir (flashback, narration et l'utilisation de la voix-off … ) pour mieux mettre en lumière les particularités de ce drame et l'étau qui va peu à peu se resserrer autour du protagoniste. De ce point de vue-là, elle soigne aussi l'atmosphère et le fatalisme qu'elle impose et qui va prendre de plus en plus de place, qu'elle mêle à un suspense qui lui aussi fonctionne très bien. Elle casse le schéma trop didactique dans sa dernière partie, où ce n'est pas la facilité qui est choisie et mettant le bigame face à sa culpabilité et les évènements pouvant en découler.
Ce qui marque aussi dans Bigamie, c'est que le film raconte l'histoire d'une pratique peu avouable, vue comme honteuse et tout simplement interdite, mais avec une vision plus pure, celle de la naissance d'un amour alors qu'un autre n'est pas totalement fini. Il n'est pas question de condamner mais d'assister à ce paradoxe, dont le final pointe bien l'absurdité (tromper est bien plus toléré) et d'en ressortir non pas un crime, mais une histoire d'amour. C'est en cela que Bigamie est une réussite, qui doit aussi à de bons comédiens (Ida Lupino et Joan Fontaine sont remarquables) et sa photographie assez classieuse.
Avec Bigamie, Ida Lupino ne condamne pas ses protagonistes, préférant montrer le paradoxe et l'absurdité des mœurs alors en cours et, sous des airs de films noirs, met avant tout en scène l'amour et les dilemmes terribles qu'il provoque.