I believe I can fly
La première qualité qu’on peut reconnaitre à Pascale Ferran, c’est sa capacité à nous étonner. Sur une trame étique, elle s’applique à tisser une poésie singulière, éprouvante dans son rapport au...
le 12 juin 2014
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Bird People est le second film en un mois, avec Under the skin, à bousculer les conventions esthétiques du cinéma traditionnel. A cette différence près qu’on ne s’est pas endormi pendant Bird People. Sans doute parce que Pascale Ferran, bien qu’elle ait radicalement changé de style depuis Lady Chatterley, reste attachée à l’idée de raconter une aventure humaine. Ici celle d’un homme et d’une femme un peu paumés (Gary et Audrey) qui se débattent au cœur de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle. Retour sur quelques extraits de presse qui touchent à l’essentiel de ce que montre Bird People.
Comme le signale Joachim Lepastier (Cahiers du Cinéma), « cela fait déjà bien longtemps que le futurisme architectural des infrastructures de Roissy a perdu de son pouvoir de fascination ». C’est ce qui plombe un peu la première partie de Bird People. Cependant, dès lors que Pascale Ferran s’attache à voler (littéralement) sur Roissy, c’est magnifique. Autrement dit, l’intérieur de la bête est vide, désincarné, mais sa carapace, de nuit, reste terriblement attractive (« les mystères de la nuit reprennent le dessus » nous dit Joachim Lepastier). Cette ambivalence du cadre concourt clairement à la circonspection qui entoure Bird People. On passe du sublime au trivial en deux temps trois mouvements, ce qui est pour le moins déconcertant. Une scène en particulier résume bien ce sentiment : Gary et sa femme se séparent via Skype. Les images de cette chambre d’hôtel lambda et de cet écran d’ordinateur, totalement impersonnelles, deviennent familières parce qu’elles abritent l’orage d’un couple dont on apprend tout minute après minute. « La séquence de rupture […] ramène de l’affect » nous dit Joachim Lepastier.
Mais c’est encore lorsque l’on sort du ventre de Roissy que Bird People fonctionne le mieux (Joachim Lepastier évoque « un saut dans le vide esthétique », et souligne que « Gary s’autorise à vivre en dehors du rythme et des contraintes du quotidien, quitte à devoir se sentir infiniment plus vulnérable »). Et c’est précisément quand les deux personnages principaux, Audrey et Gary, comme Pascale Ferran d’ailleurs, lâchent prise, qu’ils deviennent attachants.
Jérôme Momcilovic (Chronicart) tient un discours autrement plus critique. Pour lui « ni le scénario ni la mise en scène ne font l’effort de croire […] à l’existence de [ses] personnages ». On peut penser l’exact contraire : Ferran a sans doute trop cru dans ces deux caractères un peu banals qui rêvent de merveilleux. Si bien que cette banalité est au départ un peu repoussante… Avant de devenir étrangement fascinante. La mise en scène est au diapason de cette espèce de normalité évolutive. On passe ainsi de la morosité du train de banlieue, des dédales trop propres de Roissy (unités de lieux pas folichonnes) à des extérieurs (New-York, « l’île de France précaire et buissonnière » évoquée par Lepastier) autrement moins monotones.
Jérôme Momcilovic n’est pas sensible non plus aux tentatives poétiques qui irriguent la dernière partie du film : « L’incapacité des images à faire exister cette soudaine envolée et la nécessité de sauver les meubles avec : 1/ une voix-off mongoloïde empruntée à Saturnin le canard 2/ un tube de Bowie trouvé sur les étals de tarte à la crème réservés d’ordinaire aux créatifs de Publicis ». L’exagération du propos a le mérite d’interroger notre ressenti face à ces scènes « bigger than life » tournées avec beaucoup de naïveté, mais aussi beaucoup d’envie, on le sent. D’ailleurs, quand Pascale Ferran se justifie de l’utilisation de « Space Oddity » de Bowie en disant que c’est une chanson qui « la réconcilie avec elle-même » (Cahiers du cinéma), on est tenté de la rejoindre. L’universalité du titre fait corps avec celle du rêve, inaccessible, de l’envol. Et si cela fonctionne, c’est sans doute parce que Pascale Ferran a plus de talent qu’un publicitaire de Publicis.
Ce qui est fort dans Bird People, c’est que, malgré sa naïveté et quelques longueurs, le projet tient la route grâce à sa démesure. Peu importent les ratés (il y en a), on préfère se souvenir du culot d’une réalisatrice qui croit encore aux pouvoirs de la mise en scène et de l’audace formelle dans une fiction a priori plutôt balisée.
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Créée
le 3 janv. 2019
Modifiée
le 29 mai 2024
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