En plein cours universitaire, Sean dicte à ses élèves que la réincarnation n’est pas possible. Comment croire qu’un proche décédé puisse s’exprimer par un animal, ou tout être vivant ? Plus tard, il meurt après avoir fait son jogging habituel pour décompresser. Un jeune garçon prétendant être cet homme rendra visite à Anna, la femme de Sean, pour lui dire de ne pas se remarier. Jonathan Glazer utilise des concepts sans leur donner tout leur sens d’emblée, préférant naviguer autour pour créer du doute puis du malaise. Birth ne déroge pas à la règle, puisque la manifestation de la présence de Sean dans l’esprit du jeune garçon n’aura d’explication concrète qu’aux trois quarts du long-métrage. A vrai dire, ce n’est pas tant le sujet évoqué ici. L’affrontement du deuil, et du souvenir de l’autre est le cœur de cette œuvre sensible.
En introduction, les images de la naissance d’un bébé succèdent directement à la mort du personnage. L’un meurt, l’autre naît. Dix ans plus tard, cet enfant prétend être un autre qui a existé. Aucune rationalité si ce n’est la croyance qu’il faut développer pour Anna envers cette ineptie à laquelle son mari ne croyait pas lui-même. Pourtant, le cinéaste met autant de distance avec ses personnages qu’il s’en rapproche. Les longs zooms sur les visages atterrés par les émotions ressenties d’Anna et du jeune Sean renvoient à cette partie incontrôlable qui leur est donnée, les deux comme liés par un sort incompréhensible. C’est en cela aussi que Birth puisse être analysé comme une véritable perception d’une projection du deuil d’Anna sur un enfant, se (re)transformant en la femme fragile qu’elle était pendant si longtemps après la perte de son mari. Les autres spectateurs du fait sont exclus, réagissant lourdement et à distance du duo.
Ton autre mari t’attend en bas, dit Joseph à Anna. Leurs rapports n’ont plus de sens car le passé reprend l’emprise sur cette femme, jamais caricaturée ou filmée grossièrement. Glazer n’en fait pas une victime sans volonté, elle tente de se relever ou de résister au poids de sa douleur. Mais sa réticence à se défaire de la mort de son mari se manifeste à plusieurs reprises, exprimant à son beau-frère qu’elle n’a jamais pu passer à autre chose. Elle agit comme le garçon, convaincu d’être ce qu’il n’est pas, par pure intuition en souhaitant se remarier à un homme qu’elle finit par abandonner trop facilement. La beauté de Birth se perçoit par la conviction qu’ont ces deux êtres troublés, filmés à nu dans leurs réactions contraires, ne saisissant pas vraiment leurs actes ni vers où ils se dirigent.
Le poids de la réalité rattrape cette affaire nébuleuse, l’identité de Sean se perdant par une histoire de circonstances. Si Anna aimait son mari, lui la trompait sans vergogne. La duperie du garçon est révélée en plein jour quand il apprend ce désamour de Sean, simplement amoureux d’Anna. Il ne peut plus mentir, dans la baignoire où son corps est rapproché d’Anna. Ses faiblesses sont perçues, comme son manque de maturité. Birth échappe à la carte du film branché, dévoilant une mélancolie profonde, transcendant son concept fantastique pour évoquer en sous-texte la difficulté à se défaire de l’être aimé. M. Night Shyamalan avait exploré dans Sixième Sens (1999) le fantôme dans le présent et le rapport qu’il entretien avec ses plus proches, Glazer ne fait pas un film fantastique mais un objet hybride où la réincarnation laisse la place aux névroses humaines.
Le scénariste Jean-Claude Carrière, connu pour ses diverses œuvres littéraires, a dû se plaire à écrire le dérèglement de ce monde bourgeois qui bascule par la présence d’un garçon étranger. Les nombreuses pièces alternent d’ailleurs entre l’immensément grand, dans la demeure d’Anna, et ce qu’il y a de plus reclus comme le logement du jeune. C’est la névrose de l’absurde, de la symbiose intergénérationnelle qui n’est pas sans rappeler des thèmes chers à Stanley Kubrick et Luis Buñuel, épousant les formes de la folie sous des strates multiples en passant par la démesure.
Si l’interprétation de Nicole Kidman est toujours aussi impressionnante aujourd’hui, Birth brille par son alternance entre le thriller psychologique et le drame. La dernière séquence laissera Anna se plonger dans la mer, la vivifiant pour passer à autre chose. Elle doit courir, elle aussi. La réincarnation passe par ses propres choix…
A retrouver en intégralité : https://cestquoilecinema.fr/retour-sur-birth-vierge-de-tout-soupcon/