Black Christmas, du haut de son année 1974, serait le premier slasher du nom, même si en soi le Psychose d'Hitchcock pourrait avoir ce titre. Mais c'est bien le film de Bob Clark qui va instaurer tout un tas de codes qui seront plus ou moins repris par la suite, allant de la vision du tueur en subjectif aux meurtres de femmes en passant par des thématiques liées à la jeunesse, sans oublier bien sûr la période de Noël créant un décalage de ton immédiat.
Disons-le d'emblée, je n'aime pas tellement le Halloween de John Carpenter. Malgré le brio de sa mise en scène et l'efficacité redoutable de sa première scène, je trouve qu'il joue trop sur la violence des meurtres et la mythification du meurtrier pour réellement susciter de la peur aujourd'hui. En tout cas, à mon plus grand étonnement, j'ai trouvé que Black Christmas subissait bien mieux l'épreuve du temps. Bien sûr, aujourd'hui le spectateur est habitué à la vue subjective, il pourrait même trouver trop long la première partie du film (et même le film entier) qui ne comporte finalement pas beaucoup de meurtres.
Tout ça pour la bonne raison que les meurtres se passent presque hors-champ. Nous voyons bien les victimes se faire attraper, mais le meurtre en lui-même se fait au son, voire est même suggéré pendant que nous retournons sur les personnes encore vivante. Pas d'effusions de sang, pas d'effets spéciaux vieillots, même l'exposition morbide des cadavres est limitée à un plan de visage ou n'est parfois pas montrée. C'en est d'autant plus terrifiant et efficace, contrairement à Halloween qui nous montrait un corps de faire accrocher à un mur par une hache (voilà j'ai fini avec mes tacles, promis).
Finalement, c'est même logique que la partie la plus malsaine du film reste les coups de téléphone du meurtrier donnés aux jeunes filles de la résidence. Mélangeants plusieurs voix et intonations, d'un vulgaire inquiétant et de toute évidence sortis d'un esprit complètement malade et schizophrène, ces appels et le mystère derrière eux constituent le coeur du film. L'autre grande force du film, responsable en grande partie du profond respect que j'ai pour ce film après sa vision, c'est d'avoir garder l'identité du tueur totalement secrète jusqu'au bout et au-delà. Tout au plus verrons-nous un oeil de lui (plan terrifiant) grâce à un formidable jeu d'ombres (et de vue subjective bien sûr).
Ainsi, le dernier plan du film est en cela absolument terrifiant, car uniquement composé d'ombres et de sons trompeurs balayés par un long travelling. Ces sons de pianos dissonants constituent d'ailleurs la majeure partie de la bande-originale du film exceptés quelques chants de Noël, qui laisse la plupart du temps la place au silence et aux "drings" du téléphone.
Je sur-interprète peut-être ici, mais je ne peux pas m'empêcher de voir également dans ce film un sous-texte très féministe, à l'inverse des clichés "contre le sexe" du genre qui apparaitront paradoxalement surtout plus tard. Peut-être est-ce dû au fait que le film est canadien, ou encore parce qu'il est situé en plein milieu des années 70 contrairement aux autres poncifs du genre des années 80 marquées par l'idéologie conservatrice de Reagan aux Etats-Unis. Il n'empêche qu'avec les insultes précisément sexistes proférées dans le téléphone, les thématiques de couple abordées avec les personnages de Jess et Peter, les jugements de Mme Mac et le fait que la police (tous des hommes) ne sert absolument à rien dans le film, le film semble prendre un parti assez clair envers la libération de la femme. On ne peut pas en dire autant d'une partie conséquente des films d'horreurs depuis, même s'ils se contenteront surtout de réemployer des codes à plus ou moins bon escient.
Qu'importe donc si l'inexistence d'une crédibilité auditive des personnages permet au scénario de tenir debout, qu'importe si on se demande constamment comment les personnages font pour ne pas se questionner davantage sur les disparitions, l'important c'est que Black Christmas est non seulement un pilier du genre mais qu'il est en plus de cela un de ses meilleurs représentants encore aujourd'hui.