En marge de l’engouement pour le cinéma populaire, sur le point de devenir le cinéma générant les revenus les plus important au niveau mondial, le circuit indépendant chinois développe depuis plusieurs années, un cinéma plus confidentiel, plus social également, sorte de cinéma crépusculaire cheminant entre le polar et le drame, plus ancré également dans les tissus des provinces, voire même comme ici vers les confins désertiques de Gobi.
Et c’est probablement l’une des clés de voûte de Black Dog, objet en constante mutation dans les perceptions qu’il imprime, que de jouer en arrière-plan avec l’ombre menaçante de cette masse de sable informe, qui semble s’étendre encore et toujours, s’approcher un peu plus lorsque la caméra distraite l’ayant quitté un bref instant s’en empare de nouveau jusqu’à menacer d’engloutir hommes, animaux et fragiles habitations dans ses tempêtes rugissantes.
Dans ce que l’on devine aisément dès la scène d’ouverture, (un plan ample du désert , une meute canine imposante fait chavirer un bus) Black Dog s’inscrit dans la mouvance des films d’atmosphère où le récit et les personnages se construisent en pointillé, comme happés par le contexte. Un temps d’accommodation sera nécessaire pour saisir la personnalité et le « background » de Lang, recraché par l'autocar dans son premier voyage depuis sa liberté conditionnelle : meurtrier involontaire lors d’une rixe quelques années auparavant, l’homme mutique, menacé par l’oncle de la victime et par ses hommes de main, se révèle en ancienne rock star locale, enrôlé (parce qu’il faut bien survivre) dans une brigade de chasseurs de chiens errants, traquant particulièrement ce chien noir , sorte de lévrier malingre, probablement porteur de la rage.
Les développements sont suggérés, incohérents parfois, reste l’impression diffuse (encore) que l’homme marginal, dissimule et surtout souffre d’une grande solitude, intrigué par cet animal sauvage, âme solitaire également, qu’il essaie d’apprivoiser. Là encore l’image, le contexte font office de révélateur, prenant la forme d’une tempête annoncée mais qui isolera plus encore l’homme et la bête sauvage, dans ce désert plus hostile encore que la ville inhumaine qui n’en finit plus de vomir des messages de propagande ou d’avertissements dans ses haut-parleurs.
C’est ainsi que « Black dog » s’inscrit dans un propos, pense-t-on, quasi nihiliste. Les hommes ont pour beaucoup déserté la ville, abandonnée aux chiens, et les « survivants » de cet univers désolé aux résonnances post-apocalyptiques, semblent attirés par l’immensité silencieuse aux portes de la cité, véritable aimant, objet de fascination rappelant presque le Fog de Carpenter, tous vivent désormais tournés vers l’étendue. Guǎn Hǔ plante sa trame en 2008 à quelques jours des Jo, mais Pékin semble une chimère lointaine, c’est par procuration que les habitants s’immergent à travers un écran géant dans une cérémonie d’ouverture qui les concerne peu , leur quotidien immédiat, rythmé par la conjoncture des éléments naturels, cette éclipse imminente
que tous iront admirer dans le désert, le cinéaste libérant enfin (mais pour un temps seulement) ses personnages de leur environnement anxiogène, dans une belle envolée poétique qui animera la dernière partie, et notamment une très belle scène finale qui verra un Lang apaisé (peut-être), souriant à la vie dans une ultime traversée du désert à moto portant dans un sac à dos, un jeune chiot, niston du Black Dog... Son petit prince à lui...