Cher Darren,
Comme promis j’ai enfin vu « Black Swan » ton dernier film. Cependant la copie que tu m’as transmise ne doit pas être la bonne : quid du chef-d’œuvre tant vanté ? Voici une liste non exhaustive des points faibles de ton ébauche :
1) Il faut absolument que tu changes une partie de l’équipe technique. L’image tremblotante devient vite insupportable d’autant que cela relève davantage du maniérisme, de la pose que de la volonté de donner du sens au plan. La caméra est si mobile qu’elle réduit à néant les efforts des chorégraphes. Cesse de suivre les danseuses, pose la caméra.
2) Il te faut être plus ferme : même si l’actrice principale insiste pour multiplier les gros plans, résiste. Je te rappelle qu’il s’agit d’une certaine Nathalie Portman (et non d’Ellen Burstyn qui t’avait permis d’éviter le naufrage de « Requiem for a dream ») et que ce n’est guère en lui collant la caméra sous le nez en permanence que tu découvriras profondeur et subtilité. L’expression qu’elle adopte chaque fois qu’elle veut traduire son trouble (effroi ou joie) devrait te convaincre.
3) Au bout de 5 minutes, le directeur de la troupe (ce Vincent Cassel en chef de ballet, est-ce bien raisonnable ?), résume les grandes lignes du « Lac des cygnes ». Faut-il te rappeler, mon vieux Darren, que le spectateur n’aime pas être pris pour un imbécile ? Miser sur son inculture et annoncer si vite la trame de ton film n’est pas ta meilleure idée. Sois moins scolaire.
4) Les symboles ! Mon Dieu, les symboles ! Darren, celle habillée en noir face à l’autre habillée en blanc, la chambre avec la boite à musique et les peluches, la multiplication des miroirs, le dos qui gratte, les scènes d’automutilation, la mère présente dans la chambre pendant la masturbation de la ch’tite Portman, etc. Que c’est lourd ! Ma fille qui vient d’avoir 7 ans m’a plombé la soirée : « Décidemment comment veux-tu atteindre la perfection artistique avec une maman aussi castratrice, incapable de voir que sa fille se perd entre narcissisme et schizophrénie ? » ou « l’enfermement mental et psychique de la fille est traduit par le choix restreint des lieux et leur agencement déstabilisant propice aux hallucinations, mais… » « Bon, tu te tais, tu vas voir « Irréversible » de Gaspard Noé dans ta chambre et tu laisses papa, maman tranquille devant le film de Darren. En plus, tu verras un super plan fixe comme dans « Funny Games », cool, non ?» Avant de partir, elle a lancé un dernier « mais lorsque tu effectues un cunnilingus à une autre femme qui en fait est toi-même, s’agit-il d’un acte masturbatoire ? » Bref, tu verras Darren quand tu auras des enfants… N’empêche que ces scènes, peut-être torrides pour un amish égaré au fin fond du Nebraska, sont un peu ridicules pour qui vit au-delà de la frontière de l’Etat.
5) Sinon, n’oublions pas la bande sonore : Tchaïkovski est mort, soit. Mais est-il bien raisonnable de couper l’œuvre n’importe où, d’y adjoindre des effets lourdauds et sur-significatifs et de privilégier les halètements asthmatiques de la Nathalie P. ? Mansell savait-t-il qu’il ne s’agissait pas de la musique « Scream 5 » ?
6) Pour les incohérences soyons moins sévère. Dans un film où l’onirisme tient une grande place, j’admets les déplacements incongrus de la giga lime à ongle (format couteau de cuisine), qu’on puisse danser une bonne heure le ventre ouvert par un débris de miroir, etc.
Bref, on attend ton prochain essai sur le Bien, le Mal, les Addictions, et tous les traumas et dérives psychologiques que tu souhaites. J’espère juste que cela soit moins indigeste et plus sincère.
PS : ma fille demande si Marc Levy t’a aidé pour le scénario. Désolé : elle a vu la fin et elle en rit encore…
