L'exercice du biopic est périlleux mais revoir Marilyn Monroe sous la caméra de Andrew Dominik, si présente et vivante par la prestation de Anna de Armas nous laisse dans un curieux sentiment de nostalgie et de voyeurisme, un peu à l'image de son portrait de Jesse James et Robert Ford pour une direction emprunte de mélancolie. On salue à minima chez le cinéaste, la déconstruction du mythe américain et la vision d'une Marilyn, soumise au désir masculin par nécessité mais également par ses propres choix.
Reste la crainte de l'hypocrisie du propos voire même de l'insulte qui s'immisce régulièrement. Une actrice qui restera dans nos mémoires, propulsée au rang d'icône par sa mort précoce, sans que les affres du temps, nous la fasse passer aux oubliettes, comme tant d'autres. Andrew Dominik a joué la carte du noir pour une Marilyn qui sauve son double, Norma Jean, avant de la dévorer. Une idée de vampirisation que l'on retrouve dans la scène de la montée des marches, nous montrant des hommes, bouches grandes ouvertes et déformées par le désir, au passage de l'actrice... et d'un Arthur Miller (le parfait Adrien Brody) qui regarde ailleurs.
Mais Andrew Dominik aura tendance à ne jouer que d'une seule carte, celle de la fragilité et de la victimisation, axant son propos sur l'image, sans jamais ouvrir les horizons. Les scènes peuvent alors paraître parfois racoleuses et gratuites, en oubliant totalement l'intelligence de cette femme, au profit de son ingénuité.
C'est donc sans jamais vraiment nous parler de l'individu mais des scories alentour, sans pourtant les matérialiser, en occultant un grand nombre qui auront participé à sa perte de repères. Une femme abusée par les hommes et par la dictature du cinéma et un portrait des coulisses qui restera à l'état de représentation. Tous les seconds rôles passent sans que l'on sache bien de qui il s'agit, ce sont des ombres qui obscurcissent le cheminement de Marilyn et d'autres qui viennent se fracasser à l'image.
L'agressivité passive des gardes du corps du président pour une société bien à l'aise avec la violence faite aux femmes, ou celles si peu solidaires par l'œil accusateur de la secrétaire de Darryl Zanuck après que Marilyn ait été abusée, tout ceci ne nous fait que vérifier que les choses ne changent jamais. La fellation filmée, qui aura heurté bon nombre, aura pourtant le mérite de désacraliser le statut de vierge inaccessible de Marylin. Ce serait comme croire que les enfants naissent dans les choux, même si il est question ici d'abus de pouvoir, et de grande naïveté, dont bon nombre aura profité. Combien de (jeunes) femmes pensent encore en 2022 que les fellations sont de l'ordre du naturel dans une relation sexuelle, sans partage ?
Tout comme Di Maggio (tout autant crédible en amoureux possessif Bobby Cannavale) nous ne verrons qu'une seule scène courte et ciblée sur l'insécurité de l'actrice face à un mari qui regarde lui aussi de loin son épouse subir la malveillance, la dévalorisation et certainement la jalousie des femmes de la famille. Di Maggio italien pure souche seulement obnubilé par la possession de cette femme qu'il tentera de sauver de ses démons en en faisant une femme au foyer. Rien ne nous ait dit de son remariage avec lui, de cette boucle constante et perverse dans la vie de Marilyn.
On pourra alors vérifier le fossé qui existe avec les hommes de sa vie. En acceptant qu'elle les nomment daddy, telle une petite fille perdue, un vent de perplexité plane sur leur propre capacité à répondre aux besoins de cette femme, sans en percevoir les souffrances, usant simplement de leur main mise et de leur légitimité à la sauvegarde de leur objet, tant que celui-ci leur est soumis.
Avec un travail sur la forme plutôt que sur le fond et une déclinaison multiples de cadrages et d'esthétisme, reste une mise en scène singulière, qui accroche l'œil et joue de la nostalgie (les poses photographiées que l'on connaît de l'actrice au naturel, rendant hommage à une femme d'une sensibilité qui transpire pratiquement à chaque scène). Ana de Armas incarne brillamment Marilyn Monroe, ses jeux de regards, son sourire de façade et cette fragilité palpable est bluffante. Un beau travail cinématographique mais qui ne doit pas masquer les enjeux de son propos. Il existe un manque flagrant de profondeur au profit d'une psychanalyse, presque de comptoir et d'une tentative de se concentrer sur la psyché de l'actrice, que l'on découvre par un jeu de lumière, de couleurs, de flous et de rêves horrifiques. Il est, semble-t-il, difficile de rendre le cheminement intérieur en images. On s'y perdra bien souvent. La complexité de Marilyn face à Norma jean, nous sera débité par ses propres monologues sans grande subtilité. Son décalage au monde sera soutenu tout du long, par cette voix off d'un père absent et des lectures de lettres fantasmées de l'actrice s'inventant une correspondance.
Les ellipses multiples auront le mérite de passer sur les longueurs en se concentrant sur le détournement des sentiments, mais on pouvait espérer plus d'ampleur et de profondeur dans le cheminement chaotique de l'actrice. De l'enfance à sa mort, du placement de sa mère en hôpital à l'orphelinat on aura droit à un saut de plusieurs années, la voyant déjà connue. Les scènes enfantines peuvent alors paraître totalement accessoires. Si choisir d'appuyer certaines scènes pour ses avortements et ses pertes d'enfants conforte une torture du corps supplémentaire pour l'actrice, une soumission aux événements sans pouvoir lutter, on aurait aimé que l'on nous parle aussi de tous ses succès et soutiens.
On ne peut que regretter que sur plus de 2h30 de film, le dernier tiers occulte également son dernier film et des plus passionnants dans sa carrière, The Misfits. En s'inspirant pourtant de la propre vie de l'actrice, qui aura permis de casser le portrait de la ravissante blonde idiote, cette dernière partie frustre tant elle semble alors se dépêcher d'en terminer avec la -seule- vie de l'icône.