Faut-il voir un rapport entre le fait que Woody ait -enfin !- lâché les milieux exclusivement bourgeois, très aisés, et le fait qu'il ait réalisé son premier vrai bon film depuis une éternité ? Blue Jasmine n'est-il pas réussi parce qu'il s'est enfin interrogé sur les travers de ces mêmes milieux (alors qu'il semblait condamné depuis près de dix ans à ne s'en servir que comme un décors creux entourant la seule population dont il était capable de parler, car la seule qu'il observait) ?
Sans l'abandonner -la caste hyper fortunée reste au centre de son étude de mœurs- Allen a cette fois pris le recul nécessaire pour retrouver un mordant, une acidité que nous avions cru définitivement perdus.
Princesse Jasmine et son rêve bleu
Le thème central du film présente la caractéristique d'être à la fois universel, banal et terriblement puissant. On sait bien depuis toujours que la capacité de l'être humain à fermer les yeux sur ce qu'il ne veut pas voir est un des moteurs fondamentaux des problèmes incurables de notre vieux monde.
Mais parce qu'Allen double cette thématique connue d'une question assez passionnante, le drame prend une dimension inattendue. A travers Jasmine, -sublimement interprétée par une Cate Blanchett habitée et presque méconnaissable dans certaines scènes- on en vient à se demander si, avec son personnage principal, il ne vaut pas mieux vivre dans le mensonge et un monde qu'on désire plutôt que dans un univers réel dans lequel on est incapable de s'adapter.
(Les populations les plus adeptes des univers virtuels apprécieront l'acuité et l'actualité de l'interrogation)
La dernière scène semble proposer une réponse tranchée. Mais à y regarder de plus près, le film dans son ensemble est à la fois plus indécis et plus amer. Témoin cette formidable scène ou Jasmine réalise sur quelle contradiction profonde et insoluble sa vie repose. A partir de ce moment-clef, aucune issue reposant sur le registre de la comédie n'est plus possible.
Parce que la contradiction en question n'est pas seulement celle d'une femme isolée mais celle de l'ensemble de l'univers dans laquelle elle évolue, le destin de Jasmine résonne comme une métaphore certes pas tout à fait originale mais assez convaincante d'un monde autiste incapable d'écouter, tout juste encore assez vivant pour débiter ses théories absconses en boucle, un discours creux dont une personne saine d'esprit ne peut que s'éloigner sans bruit.