Même si "Match Point" restera sans doute indétrônable au sommet de la filmographie pléthorique de Woody Allen, "Blue Jasmine" est un sérieux prétendant à la couronne : c'est que le sujet, une sorte de rencontre improbable entre "La Chatte Sur le Toit Brûlant" et les scandales modernes de la récente crise financière, nous touche plus que la plupart des sujets jamais traités par ce vieux Woody, et ce d'autant qu'il y injecte une dose de misanthropie réellement effrayante, clairement basée sur ses propres expériences de la turpide humaine. L'arrogance des nantis, représentés magistralement par trois personnages merveilleusement croqués, Jasmine (Cate Blanchett en bonne position pour l'Oscar), Hal son mari (Alec Baldwin en état de grâce depuis son retour avec "30Rock") et Dwight (l'éternellement répugnant Peter Sarsgaard, visqueux comme toujours), donne évidemment lieu aux scènes les plus réjouissantes, parce que les plus cruelles. C'est peut-être cependant la médiocrité des autres personnages - la soeur Ginger, fantastiquement incarnée par Sally Hawkins, son ex-mari et ses nouveaux boyfriends sont tous plus vils les uns que les autres, répétant finalement les mêmes schémas que la classe "dominante" - qui frappe le plus. Alors, "Blue Jasmine" nous met peu à peu mal à l'aise, et nos rires se font de plus en plus rares, de plus en plus nerveux, et c'est sans doute là, à condition qu'on accepte bien sûr la haine que Allen semble déverser sur ses personnages, que "Blue Jasmine" devient un film vraiment impressionnant. Et ceci, malgré l'habitude légèreté, pour ne pas parler de laxisme, avec laquelle Allen aborde sa responsabilité de réalisateur... En sortant, secoués, de "Blue Jasmine", on est prêt à convenir que c'est là aussi une forme de génie.