Après deux adaptations littéraires et un mélo de commande, Melville signe ici son premier film de gangsters, le genre qui fit sa gloire et devint sa marque de fabrique.
Six ans avant "Le doulos" et dix avant "Le deuxième souffle", Melville raconte une histoire de truands avec maestria, et sans la moindre star du box office. J'ai toujours pensé que les distributions haut de gamme influaient nettement dans la réussite de ses films futurs, mais il prouve ici le contraire avec un casting de quasi inconnus.
Ce qui importe, c'est avant tout l'atmosphère, la capacité du cinéaste à saisir et à retranscrire à l'écran les ambiances, ici celle du Montmartre (et du Pigalle) des années 50 : sa faune nocturne, ses petits matins blafards, ses clubs de jazz, ses appartements cossus ou minables. Et puis son propre langage, celui de l'argot des beaux mecs, qui donne un charme fou aux dialogues (cosignés par Auguste Le Breton).
En terme de mise en scène, cela signifie un rythme, un tempo nonchalant mais intense, ainsi qu'un noir et blanc profond et contrasté, et une musique jazzy.
En parallèle, Melville a le chic pour mettre en scène des personnages singuliers et attachants, à l'image du héros Bob, joueur compulsif et ancien voyou, entretenant une amitié mystérieuse avec le commissaire dont il a sauvé la vie. C'est Roger Duchesne, véritable personnalité du Milieu, qui interprète le fameux Bob, ce qui constituera le dernier rôle de sa brève carrière au cinéma.
Ou encore Anne, cette môme faussement désabusée qui n'a pas froid aux yeux, incarnée avec un charisme étonnant par Isabelle Corey, 16 ans, apprentie comédienne à la carrière trop courte.
Sans oublier des seconds rôles joliment esquissés et interprétés : Daniel Cauchy en freluquet naïf, Guy Decomble en commissaire bienveillant, Gérard Buhr en maquereau déloyal...
Découvrir "Bob le flambeur" (tourné en 1955) après les deux films des sixties cités précédemment permet en outre de remarquer le changement de décennie, les mutations de la société, de la mode, et en parallèle l'évolution du style Melville : ici, pas encore de belles américaines, mais une simple 4 chevaux ; les chapeaux ne sont pas aussi omniprésents ; et on croise encore des soldats américains dans les rues parisiennes...
Si ce quatrième long-métrage s'avère une jolie réussite, le film n'atteint pas cependant les sommets des futurs "chef d'œuvres" de l'homme au stetson : on pourrait parler de brouillon, sans être péjoratif.
Ainsi, de petites maladresses surgissent régulièrement au fil du récit : un second rôle mal inspiré, une incohérence psychologique, une rupture de ton malvenue (la fin), une bagarre un peu risible...
A titre personnel, je déplore aussi un discret ventre mou, à l'origine de quelques longueurs, ainsi qu'une voix-off légèrement trop présente.
Quoi qu'il en soit, "Bob le flambeur" reste un polar tout à fait recommandable, au sein duquel se met en place le style Melville, celui qui immortalisera son œuvre dans l'histoire du cinéma.