Bien que le scénario aux dialogues bien écrits ne soit pas vraiment conforme à la réalité et prenne certaines libertés avec la vie de Ravel, (Raphael Personnaz, excellent et physiquement souvent très proche) n'hésitant pas parfois à bouleverser la chronologie, j'ai eu un plaisir infini à suivre ce compositeur discret, sensible, et bien que très secret, empreint d'une profonde humanité ce qu'attestent tous ceux qui l'ont connu.
Pour le célèbre Boléro, la composition n'a pas été du tout longue et pénible contrairement à ce que montre le film, mais Anne Fontaine s'inspire du processus créatif d'autres œuvres afin de montrer la façon dont Ravel composait, obsessionnel jusqu'à réécrire plusieurs fois certains passages afin d'atteindre à la perfection, comme par exemple, pour le magnifique Tombeau de Couperin dont chaque pièce est dédié à un ami mort pendant la guerre de 1914.
Rien ne prouve non plus qu'il y ait eu entre Misia Sert (Doria Tillier) et Ravel un sentiment amoureux - les deux entretenaient une amitié profonde- mais toute cette partie du film aux dialogues souvent spirituels met bien en lumière la volonté du très secret Ravel ne pas s'engager amoureusement parlant, (pudeur, peur, timidité, ou désir de rester libre de son temps pour la musique ?) Cette relation montre également l'intérêt que lui portaient les mécènes ainsi que le rôle de leurs encouragements à composer suivant son désir et non pour rechercher l'approbation des critiques. Soit dit au passage que l'excellent pianiste Alexandre Tharaud, savoureux de méchanceté dans son rôle de critique,( Lalo fils ) montre bien le décalage entre le goût musical de l'époque et sa modernité. Enfin, Jeanne Balibar en Ida Rubinstein, commanditaire du Boléro est comme toujours excellente et campe un personnage haut en couleur, ce qu'elle était. Là encore, certaines libertés ont été prises concernant les relations professionnelles et respectueuses qui existaient entre la danseuse et Ravel, mais cinématographiquement, les scènes, intenses, mettent en valeur leurs dissensions qui n'existaient pas en réalité car Ida avait toute confiance en Ravel : il avait son accord pour créer le ballet dont elle rêvait. Et contrairement à ce qui est montré, le Boléro repose sur non pas une mais DEUX mélodies uniques, la deuxième que tout le monde oublie a une langueur et un mystère tout oriental. C'est bien le génie exceptionnel de Ravel et son sens de l'orchestration qui donne à cette répétition hypnotique des airs de transe mystique, comme la Bacchanale qui clôt Daphnis et Chloé ou encore le finale de la Valse.
Pour résumer, j'ai aimé la façon dont Ravel est raconté, la beauté de l'image, et la délicatesse des dialogues. L'extraordinaire musique de Ravel longtemps taxé de compositeur sans cœur, ponctue le film, et ce bel hommage m'a enchantée. Merci à la réalisatrice et à toute son équipe pour ce film que j'ai eu plaisir à revoir.