Bonjour est l'un des rares exemples d'auto-remake dont le modèle date du cinéma muet. 27 ans après Gosses de Tokyo, Yasujiro Ozu exploite à plein le passage au parlant, puisqu'il il est ici beaucoup question de langage, et plus particulièrement des conventions qu'impose le langage sur les relations sociales. En rébellion face à leurs parents qui refusent d'acheter une télé, le jeune Minoru et son petit frère Isamu font la grève de la parole pour protester contre les conversations des adultes, qu'ils jugent futiles. Résolus à tenir bon, ils vont ainsi involontairement faire jaser le voisinage et finir par faire plier leurs parents, pourtant tout aussi déterminés.
Rien de spectaculaire dans cette crise familiale évidemment, car chez Ozu le spectacle du quotidien se suffit à lui seul. On retrouve encore une fois cette extraordinaire faculté à glisser un propos limpide, juste et pertinent dans une histoire on ne peut plus simple, ainsi que la beauté singulière de cette mise en scène épurée typique du maître japonais. Mine de rien, il est effarant de réaliser combien de sujets il parvient à aborder en si peu de temps. Il y est question d'incommunicabilité, d'éducation, d'amour, de générations, de socio-économie, mais aussi de la pénétration insidieuse du consumérisme dans des foyers japonais qui n'y sont pas forcément préparés. Les sous-intrigues, prises séparément, paraissent décousues sur le moment, mais elles finissent toujours par trouver leur place dans le grand puzzle dessiné par Ozu. En cela, la première partie, centrée sur une histoire d'argent, constitue un véritable modèle d'exposition qui nous immerge on ne peut mieux dans la vie de cette petite communauté de voisins, introduisant une galerie de personnages irrésistibles et donnant matière à démonstration pour la suite du film.
Bonjour bat au rythme paisible de la vie, sans lenteur mais avec tranquillité et patience. Ozu y déploie quelques-uns de ses acteurs fétiches, et c'est avec plaisir que j'ai retrouvé l'incroyable Kuniko Miyake, découvert le gamin hilarant qui incarne le petit Isamu, et ri grâce à l'impayable gouaille de la grand-mère Haraguchi. Un peu moins de plaisir en revanche face au leitmotiv pétomane, marrant au début, un peu lourdingue au bout de la vingtième fois, et qui de plus amène le film à se conclure de façon un peu bébête.
Pas de quoi entacher le charme à revendre de cette sincère et touchante chronique familiale et sociale, aussi universelle que le cinéma d'Ozu.