Avec un goût manifeste pour le rire non consensuel et une volonté de démanteler les hypocrisies sociales, Bonjour l’Asile, le second long métrage de Judith Davis, réussit le pari d’un manifeste psychophilosocial drôle, vif et émouvant.
Judith Davis, c’est un peu le croisement du cinéma déjanté et mordant de Kerven et Delépine avec les réflexions philosophiques de Barbara Stiegler, un mélange animé par un questionnement sur comment continuer de faire société dans l’état actuel de déliquescence du monde, comment continuer à être uni et soudé par une utopie sociale et créative commune, et surtout comment ne pas se perdre soi-même sous les oripeaux des diktats et normes de performance sociale.
Bonjour l’Asile réunit en partie les acteurs du collectif corrosif « L’Avantage du doute » (Claire Dumas, Mélanie Bestel, Nadir Legrand, Maxence Tual et Simon Bakhouche), fondé sur une écriture fine et roborative, subversive et provocatrice.
Son film est traversé par les mêmes éclats et prises de conscience, survenant à travers des modes libres d’improvisation des personnages et l’écriture de ceux-ci : ici surtout ceux d’Elisa (la trépidante Claire Dumas) et d’Amaury (Nadir Legrand, inquiétant et émouvant).
Critique du néolibéralisme à tout crin, qui vient infiltrer et exproprier nos relations les plus intimes, reproduisant à l’intérieur du couple les rapports rétrogrades, viciés et dégradés du capitalisme moderne, Bonjour l’Asile se veut satire de nos aliénations contemporaines, manifeste néo-féministe et essai pour des propositions de vivre ensemble plus joyeuses et moins inauthentiques.
Le film promeut le tiers-lieu (ici un château presque miraculeux, bien nommé HP pour Hospitalité permanente) comme espace-temps où laisser tomber masques et habits de cérémonie, fausses dents et désarrois réels, pouvoirs et hontes, colères et crises pour se relier, faire forme plutôt que norme, et écouter le sens du monde différemment, en partageant ses mots face à un arbre de vie, par exemple.
Judith Davis et ses comparses de théâtre (pour qui elle écrit sur mesure) interrogent avec acuité tout à la fois les lieux communs du langage, infestés par la domination sociale, et l’imaginaire possible d’autres lieux où nous pourrions faire communauté et retrouver un bien commun, celui de l’amitié humaine, de la solidarité et de la sincérité.
Bizarrement, l’écriture chorale du film perd un peu en ampleur à cause des performances des acteurs, tenant davantage du café-théâtre ou du one-man-show que de la fiction profuse.
L’ensemble, par son chaos ludique et réflexif vivement mené, fait songer, par son humeur hippie et sa tonalité vivace, à La Bataille de Solférino de Justine Triet, avec cependant moins de point de vue cinématographique et tout autant d’élan et de puissance théâtrale irrévérencieuse.
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