Quoi que l'on en pense, les ricains ont clairement besoin de se trouver des héros; c'est pour cela qu'ils tréfouillent dans toute leur courte histoire, imaginant pouvoir se trouver des symbôles, des idôles sur lesquelles se concentrer, des personnalités à adorer. C'est ainsi que naquit le "Bonnie & Clyde" d'Arthur Penn, réalisateur que je découvre à l'instant.
Le film fait étrangement l'éloge de psychopathes de seconde zone, de sociopathes de haut niveau. Vraiment? Pas tant que cela, au final. Explications. Loin des tarés que je pensais qu'ils étaient, le célèbre couple au destin tragique ( pas de spoil là dedans, tout le monde a en tête la fin de leur épopée meurtrière ) se veut ici plus humain, plus proche du commun des mortels que les représentations habituelles laissent penser qu'ils étaient.
La vision des deux fugitifs est clairement idéalisée; sympathiques, attachants, ils paraissent pourchassés par les véritables bad guys du film, les forces de l'ordre. J'ai d'ailleurs apprécié le parallèle fait avec le massacre des indiens en Amérique; alors que le gang de Clyde Barrow se fait prendre en embuscade, il arrive que l'on entende, en tendant suffisament l'oreille, des imitations de cris indiens. True story.
La dimension est donc fortement tragique : on s'attache aux Barrow tout en sachant comment leur destinée va s'achever, instaurant une fatalité terrible dans l'oeuvre, nous rappelant constamment que leur mort viendra, et par là même que la nôtre ne saurait tarder, un jour ou l'autre.
La morale est à la fois terriblement pessimiste et d'un optimisme éclatant, en y réfléchissant plus en avant : il ne sert à rien de lutter, l'on mourra tous un jour, tout comme il n'est d'aucune utilité de se priver; si l'on doit tous mourir, autant se faire plaisir sur Terre, et ne pas penser aux conséquences, qui nous reviendrons forcément, un jour ou l'autre, en pleine poire. Mouais, c'est pas très catholique, tout ça.
L'écriture est donc particulièrement satisfaisante; c'est élégant, efficace, et fichtrement émouvant. La conclusion, terrible, mettra tout le monde d'accord : la barbarie viendra autant du couple meurtrier que des prétendus gentils de l'Histoire, les policiers. D'une certaine manière, la visée de l'oeuvre désire montrer les Barrow comme des héros, des martyrs malgré eux. Et voyez-vous, c'est avec ce point ci que j'ai eu du mal.
Tout le reste est sans anicroche; ça passe sans probléme, sans faille particulière. La mise en scène à ce petit quelque chose d'intemporel qui fait que c'est un grand film, le fait étant que je pensais le film des années fin 70-début 80, alors qu'il date, en fait, de 1967. L'interprétation du couple affiche une réelle alchimie, tout comme Gene Hackman se révèle, comme à son habitude, impeccable, avec une personnalité peu commune, et d'une sympathie entre la béatitude et l'idiotie cultivée.
Le soucis est donc que je n'apprécie guère l'approche du couple. C'est une version romantisée de l'histoire; heureusement, tout manichéisme vomitif est à rejeter. David Newman et Robert Benton sont trop fins, trop intelligents, trop habiles dans l'art de manier les mots pour tomber dans une telle facilité scénaristique. Non, eux, ils prennent leurs bases, les créent, et sortent des sentiers battus.
Comme je le disais, je n'ai guère apprécié que l'on en fasse des héros, des icônes. Au final, ils n'étaient que des gangsters ( à ce que j'en ai lu, bien sûr; ma vision peut-être fausse ), des meurtriers. A en croire le film, les flics les ont forcés à devenir des méchants, à tuer des gens. Pour le coup, je garde mes réserves; je ne m'y connais pas assez pour avoir un avis tranché. Le tout est donc que ce petit détail m'a légèrement dérangé. Le reste n'était guère dérangeant, par contre. A voir.