Explosion en bonne et due forme du système bourgeois
N'ayons pas peur des mots, "Borgman" du Hollandais Alex van Warmerdam est un chef-d'oeuvre génial. Ce long métrage inclassable met en scène une sorte de vengeance contre la bourgeoisie, comme le faisait Pier Paolo Pasolini avec son inoubliable Theorema, avec un humour au vitriol pour principal outil de travail. C'est jouissif de la première à la dernière image.
D'un côté, on nous sert la jolie petite famille parfaite avec mère, père et trois enfants dont un ange à la blondeur tellement irradiante qu'elle en devient vite suspecte. Très aisé, ce petit monde peut se permettre les services d'une nounou et d'un jardinier. De l'autre, on découvre une communauté de laissés pour compte qui a su tirer profit de sa situation peu reluisante en se regroupant dans une sorte de secte où chaque membre est solidaire.
Tout commence dans une forêt avec un prêtre et deux acolytes proches des jeunesses fascistes sévissant en Europe, qui cherchent à déloger de leur tanière des êtres terrés sous terre. On suit l'un d'eux, Camiel Borgman qui, après avoir échappé à ses poursuivants, se présente devant la porte d'une maison de nantis et demande s'il peut prendre un bain ou une douche. Il se fait rosser par le propriétaire, mais sa femme prend pitié et l'héberge en cachette. Cependant, lorsqu'il décide de s'en aller parce qu'il dit s'ennuyer, la femme, sous le charme de cet être étrange débarqué de nulle part, insiste pour qu'il reste et qu'il puisse agir au grand jour. Avec l'aide de complices, Borgman prend la place du jardinier et crée l'illusion auprès du mari qui ne parvient pas à le reconnaître. Il n'en va pas de même avec les enfants, surtout la trop blonde Isolde.
On ne dévoilera pas plus de l'intrigue qui fonctionne à merveille en maintenant une cohésion irréprochable malgré les nombreuses scènes qui tiennent quasiment du surréalisme. Mais surréalistes elles ne le sont qu'en apparence, car Alex van Warmerdam prend un malin plaisir à les rendre implacablement réalistes, ou en tout cas, bien réelles. On se demande à plusieurs reprises ce que la communauté de Borgman peut bien fabriquer, mais tout tient la route et fait parti d'un plan bien défini, comme le prouve la fin de ce long métrage à nulle autre pareil. On assiste à l'implosion de cette bourgeoisie représentée par le ce couple à la limite de la rupture par lassitude et , mieux encore, au vol pur et simple de ce qu'il a engendré.
"Borgman" regorge de séquences mémorables comme la restructuration du jardin à coup de pelleteuse et de tronçonneuse, la manière de se débarrasser des cadavres, un repas familial qui part en vrille et à une pièce de théâtre totalement loufoque. Mais attention, il ne s'agit nullement d'une vengeance des pauvres contre les riches, mais d'une allégorie plus que pertinente sur la condition des uns comme des autres, dans toute son absurdité qui devient ici le sujet principal de cette tragi-comédie absolument géniale qui annonce la couleur dès sont titre, quand les lettres qui constituent le mot de Borgman à l'envers se remettent à l'endroit par un simple mouvement de rotation.