Dans un futur proche (du moins à l’époque du film), suite à une scission du parti démocrate, les États-Unis ont entamé une « révolution » sociale démocrate se positionnant en alternative au communisme et au fascisme. Vieux fantasme de la gauche pour un « socialisme à visage humain ». S’en sont suivi toute une série de mesures sociales visant à une plus grande intégration des minorités et des femmes. Ces dernières exercent les métiers les plus divers, l’égalité des genres sembles acquise... à moins que...
Le Tous à Zanzibar du cinéma : à la fois fiction et documentaire, entre fantasme et réalité, mais très certainement réaliste... Born in Flames est un film assez unique à plus d’un titre, entremêlant plusieurs histoires et personnages se rejoignant progressivement, des « moments de vie » qui explorent ce futur socialiste étasunien, et une enquête du FBI sur les mouvements féministes et particulièrement « l’armée des femmes », entité nébuleuse et menaçante, manifestement principale préoccupation sécuritaire du moment.
Style documentaire, narration découpée, thèmes graves, déluge informationnel où se mêlent habilement faits réels et pure fiction, le visionnage n’est pas nécessairement agréable. Ce n’est pas grave : le film n’ambitionne pas le statut de divertissement. C’est un film à message, un film militant, un film contestataire, bref, un film punk, sale, cru et rugueux comme le grain de l’image (et je ne pense pas que ce soit seulement l’effet du temps sur la bande!).
Intersectionnel avant l’heure (en effet, le concept n’émerge que six ans plus tard), le film nous montre cette Amérique qui se veut révolutionnaire, mais où les problèmes ne sont traités que de manière superficielle. À celleux qui se plaignent d’être oublié.es, on oppose la nécessaire et sacro-sainte « unité » de la révolution socialiste que toute velléité « particulariste » annihilerait dans un soubresaut réactionnaire et individualiste. Alors que le Gouvernement peine à offrir le plein emploi et que de nombreux hommes au chômage blâment les politiques de quota et le favoritisme à l’endroit des femmes et des « minorités », les femmes sentent qu’elles seront en première ligne des politiques d’ajustement. D’une contestation féministe larvée, le mouvement prend de l’ampleur à mesure que les travailleuses sont massivement démobilisées et que - apothéose patriarcale - on leur promet une rémunération en qualité de femmes au foyer.
Qu’il s’agisse du partage des tâches, des violences sexistes (avec une angoissante scène d’agression sexuelle), des différences de vécu en fonction des classes sociales et des dissensions entre féministes qui en résultent, de la difficulté de faire entrer son vécu dans un récit politique ficelé par des formules creuses, Lizzie Borden aborde un nombre impressionnant de thématique avec une grande cohérence et sans jamais perdre le fil. Tout s’enchaîne de manière fluide dans un futur dystopique dont la crédibilité nous fait parfois oublier qu’il s’agit d’une fiction.
En effet, comment ne pas lire, aujourd’hui, ce récit comme une parfaite retranscription des tensions actuelles de nos sociétés occidentales? Un libéralisme économique qui prétend donner du travail à tou.tes, le spectre du conservatisme qui sert d’alibi au recul des avancées sociales, une novlangue gouvernementale vidant les mots de leur sens et rendant toute critique inopérante, la difficulté de prendre en compte les discrimination de genre dans les politiques publiques, les lubies sécuritaires, l’allergie des gouvernements à toute forme d’autogestion (et d’autodéfense), etc. Les similitudes ne manquent pas et font de ce film déjà très riche un récit d’anticipation d’une troublante actualité... jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001.
Aride, certes, améliorable, certainement, mais brillant par sa narration, son univers et la mobilisation des moyens pourtant ridicules dont disposait la réalisatrice, Burn in Flames est un film important qui, s’il bénéficie d’une reconnaissance certaine par ailleurs, mériterait une diffusion bien plus large.