J'avais pourtant envie de l'aimer, ce "Borsalino", vu quand j'étais môme et dont je gardais des souvenirs extrêmement flous : la présence au générique des deux méga-stars françaises Alain Delon et Jean-Paul Belmondo, dans le rôle de deux petits truands aux dents longues, la reconstitution du Marseille coloré des années 30, et la ritournelle imparable née du piano de Claude Bolling... Il y avait du mythe en puissance dans cette combinaison de talents.
Las, même si le film de Jacques Deray reste largement regardable, le résultat final ne laisse guère de place à un quelconque mythe. L'ascension de ces deux caïds dans la pègre marseillaise, bien décidés à conquérir la ville, manque cruellement de souffle et de passion.
La mise en scène de Deray se limite souvent à illustrer en images l'aura virile et la présence charismatique de ses deux têtes d'affiche, mais on ne sent pas d'alchimie particulière entre ces deux-là, trop occupés à essayer de tirer la couverture à eux, diront les mauvaises langues.
A l'arrivée, Delon se contente de soigner son image de mâle viril et mutique, tout en colère rentrée ; quant à Belmondo, la présence de son rival au box-office semble le perturber, alternant entre une certaine discrétion qui ne le sert pas, oubliant sa gouaille légendaire, et un surjeu parfois grotesque, en particulier dans l'ultime séquence.
De fait, on a bien du mal à croire en leur relation d'amitié fraternelle, qui phagocyte les autres pistes narratives d'un scénario maladroit et bancal, pourtant le fruit d'un travail collectif de personnalités telles que Jean-Claude Carrière, Jean Cau et Claude Sautet (d'après le livre d'Eugène Saccomano).
Ainsi les rôles féminins sont-ils sacrifiés l'un après l'autre, entre une Catherine Rouvel réduite au statut de potiche, une Nicole Calfan brutalement évincée, et une Mireille Darc en mode figurante.
Malgré ces nombreux défauts, je reste indulgent dans ma notation, car j'aime beaucoup le cinéma français populaire de cette époque, et parce que "Borsalino" reste une fresque gangstériste assez unique à l'échelle hexagonale, très inégale certes mais offrant aussi de bons moments.
Néanmoins, il apparaît évident que la comparaison avec la concurrence américaine, en l'occurrence "Le parrain", sorti à peine deux ans plus tard (dans un registre différent certes), ne fait pas honneur à la proposition de Jacques Deray, tant le film de Coppola se révèle infiniment plus maîtrisé.