Boulevard du crépuscule, c'est une rencontre entre elle et lui. Lui, c'est Joe Gillis (William Holden), un scénariste raté et criblé de dettes qui s'est vu refuser son dernier scénario par la Paramount, et qui atterrit à Sunset Boulevard en fuyant des créanciers venus saisir sa voiture. C'est sur ce boulevard qu'il va tomber sur elle. Elle, c'est Norma Desmond (Gloria Swanson), une vieille femme ancienne star du cinéma muet tombée dans l'oubli, hantée par les fantômes du passé et tentant désespérément de faire son grand retour devant les caméras.
Boulevard du crépuscule, c'est un film noir qui brille dans sa fine mais féroce représentation du monde hollywoodien. Un monde dont les devants sont aussi magnifiques que les fonds sont impitoyables. Un monde où les rêves peuvent aussi bien se concrétiser que s'anéantir. Un monde cruel et cynique où tout n'est qu'illusion, où le temps se montre assassin envers les célébrités du passé, où il n'y a pas de seconde chance une fois que l'oubli s'est emparé de votre carrière. Billy Wilder accentue sa critique à l'aide d'une mise en abyme du plus bel effet. En jugent les amis de Norma venus jouer au bridge, désignés par Gillis comme des "statues de cire", pourtant des acteurs sortis eux aussi de la vieille époque du muet, dont Buster Keaton.
Boulevard du crépuscule, c'est une fascinante relation entre Norma et Joe, une relation à la fois inquiétante et surréaliste. Joe rejoint Norma dans son monde factice et figé dans le temps, d'où il ne pourra ressortir sans y laisser son âme. Une relation morbide, dont Joe a tenté de trouver une échappatoire en la personne de Betty (Nancy Olson), avec qui il collabore sur un scénario, en plus de démarrer une relation moins artificielle qu'avec Norma. Ce que cette dernière ne prendra évidemment pas bien, au point de commettre l'irréparable.
Boulevard du crépuscule, c'est un film bénéficiant d'une écriture brillante, au service d'une mise en scène implacable. Pendant 110 minutes, le film passionne tout autant qu'il dérange. Billy Wilder dépeint un univers froid et impitoyable, dont l'âme humaine ressort tourmentée par les illusions de bonheur et de gloire.
Boulevard du crépuscule, ce n'est pas seulement une critique du système hollywoodien mais aussi un vibrant hommage au cinéma. L'atmosphère froide et troublante, le savoir-faire indéniable dans la réalisation, la force de la dramaturgie dans l'écriture, le jeu d'acteur brillant notamment en ce qui concerne les deux protagonistes, tout ceci contribue à l'époustouflante intensité dont le film regorge, et à l'émerveillement du spectateur dont celui-ci ne peut ressortir indifférent.
Et Boulevard du crépuscule, c'est une scène finale tout simplement brillante. Une scène finale marquant l'apothéose de la carrière de Norma Desmond, qui a finalement réalisé son grand retour devant les projecteurs, brillante de mille feux, avec un grand sourire sur son visage, et une lente descente des escaliers, qui pourrait finalement s'apparenter au point d'orgue de sa carrière. Mais elle est heureuse, perdue dans ses fantasmes et ses illusions de retour sur les plateaux de tournage. Elle perd toute notion de la réalité. Et elle conclut le film avec cette inoubliable réplique : "Voilà, M. DeMille, je suis prête pour mon gros plan".
Boulevard du crépuscule, c'est un chef-d'oeuvre.